L’émir du Qatar, le cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, et le président américain Donald Trump à Riyad (Arabie saoudite), le 21 mai 2017. | MANDEL NGAN / AFP

L’« Otan arabe », dont rêve l’administration américaine, n’est pas encore née, qu’elle a déjà du plomb dans l’aile. Mercredi 24 mai, trois jours après la visite de Donald Trump en Arabie saoudite, au cours de laquelle le président américain a exhorté les pays musulmans à faire front contre l’Iran et l’organisation Etat Islamique (EI), une violente dispute a éclaté, par médias interposés, entre les pétromonarchies du Golfe.

Arguant que l’émir du Qatar, le cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, aurait fait des déclarations favorables à Téhéran, les organes d’informations saoudiens et émiratis, se sont mis à tirer à boulets rouges contre Doha, accusé de « trahison ». Un procès rejeté par les autorités qataries, qui affirment que les propos prêtés au cheikh Tamim ont été fabriqués de toutes pièces. Ils seraient le résultat d’un piratage du site de l’agence de presse qatarie, la Qatar News Agency (QNA).

Dans la nuit de mardi à mercredi, celle-ci a cité le souverain déclarant que « l’Iran constitue une puissance islamique régionale qui ne peut pas être ignorée et qu’il est imprudent de s’y confronter ». Plutôt que de signer des accords de ventes d’armes « exagérés » – une référence aux mégacontrats conclus par la délégation américaine en Arabie saoudite –, le monarque qatari suggère de s’intéresser aux moyens de réduire la pauvreté. Dans le même communiqué de la QNA, Tamim Al-Thani prend la défense du Hezbollah et des Frères musulmans, les bêtes noires de ses voisins saoudiens et émiratis, et les présente comme des « mouvements de résistance légitimes ».

« Le Qatar brise les rangs »

Le premier, un parti politique chiite libanais doublé d’une milice pro-iranienne, qui combat aux côtés des forces progouvernementales en Syrie, a été désigné, en mars 2016, « organisation terroriste » par la Ligue arabe et le Conseil de coopération du Golfe (CCG), l’instance de concertation des Etats de la péninsule arabique. Les seconds, un mouvement islamiste réformateur, dont Doha a été le sponsor au début des printemps arabes, sont également classés « terroristes » par Riyad et Abou Dhabi, qui redoutent leur influence sur leur propre société.

« Le Qatar brise les rangs et se range aux côtés des ennemis de la nation », s’est aussitôt indigné le quotidien Okaz, propriété de la famille royale saoudienne. Le journal anglophone Gulf News, fidèle relais du pouvoir émirati, a traité la télévision Al-Jazeera, caisse de résonance du Qatar, de « porte-voix des Frères musulmans et d’autres groupes terroristes comme Al-Qaida et Daech ». Sur la chaîne saoudienne Al-Akhbariya, un invité a qualifié les propos du cheikh Tamim, âgé de 36 ans, d’« enfantillages ».

Signe qu’il s’agit bien plus que d’une guerre médiatique, la plupart des sites d’informations pro-Qatar, comme Al-Jazeera, ont été bloqués en Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis. Les organes acquis à ces deux pays énumèrent les éléments censés invalider la thèse du piratage avancée par Doha. Inversement, le site Al-Arab Al-Jadeed, dirigé par le politologue palestinien Azmi Bishara, proche conseiller du cheikh Tamim, évoque une cabale. Il voit dans la poursuite des attaques anti-Qatar la preuve d’une offensive concertée, destinée à priver Doha de son indépendance diplomatique.

Au sein du Conseil de coopération du Golfe, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, ainsi que le Bahreïn, un satellite saoudien, promeuvent une ligne particulièrement hostile à l’Iran. La République islamique, grand rival de l’Arabie saoudite pour la suprématie régionale, est accusée de profiter des crises du Proche-Orient, notamment en Syrie et au Yémen, pour s’ingérer dans les affaires arabes. Le Koweït, Oman et le Qatar, défendent des positions plus nuancées, insistant pour ne pas couper les ponts avec Téhéran, au grand dam de leurs voisins du Golfe.

Gages de « bonne conduite »

L’agacement saoudo-émirati est multiplié, dans le cas du Qatar, par le refus obstiné de ce dernier de mettre les Frères musulmans à l’index, et par le rayonnement international qu’Al-Jazeera confère à son positionnement diplomatique, pas toujours orthodoxe. D’où les tensions récurrentes entre Doha d’un côté, Abou Dhabi et Riyad de l’autre.

L’affaire des déclarations à la QNA n’est donc que le dernier épisode. En 2014 par exemple, ces deux capitales avaient retiré leur ambassadeur au Qatar, durant neuf mois. Une mesure de représailles aux critiques d’Al-Jazeera à l’égard de leur protégé égyptien, le président Abdel Fattah al-Sissi, instigateur du putsch de 2013 contre son prédécesseur, l’islamiste Mohamed Morsi.

Sous la pression, le cheikh Tamim avait dû donner des gages de « bonne conduite ». A la faveur de l’arrivée au pouvoir à Riyad du roi Salman, moins hostile aux Frères musulmans que son prédécesseur Abdallah, les relations entre le Qatar et l’Arabie saoudite s’étaient améliorées. Mais avec les Emirats arabes unis, intraitables sur le dossier de l’islam politique, l’antagonisme affleure en permanence. Et la question iranienne, ravivée depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, reste une source de divergences.

Les Emirats et l’Arabie espéraient manifestement se servir de la venue du président américain à Riyad pour imposer leur ligne anti-Téhéran à tout le CCG et même au-delà. Des indiscrétions, publiées dans la presse arabe et américaine, parlaient de la mise en place d’une nouvelle organisation de défense, une « OTAN arabe ». Ce sera à l’évidence très compliqué. A peine le président américain parti, le front sunnite se craquelle déjà.