Caroline, policière à Paris, présente tout l’attirail des fonctionnaires aux enfants d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), mercredi 24 mai. | Gallosi Alexandre

« Votre matraque, madame, vous la sortez dans quelle condition ? » A Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), où une journée de rencontres entre les jeunes et la police municipale était organisée par la ville, mercredi 24 mai, « l’affaire Théo L. » n’est jamais loin. Caroline, policière de 27 ans, tente une explication : « La matraque télescopique, on peut seulement s’en servir comme ça », montre la jeune femme en visant, sans la toucher, la tête, les côtes, puis les genoux de Maelis, 10 ans, captivée. Et d’ajouter, sur une note plus justificatrice : « Si on sort notre matraque, c’est forcément pour se défendre, hein. Cela veut dire qu’en face de nous on a un méchant. »

Le 2 février, Théo L., 22 ans, a été victime d’un viol présumé, lors d’une interpellation policière durant laquelle il a reçu plusieurs coups de matraques, lui laissant une plaie de dix centimètres de profondeur au niveau de la zone rectale. Quatre mois plus tard, les stigmates de « l’affaire de la matraque » sont encore dans les esprits.

Perte de confiance

« A Aulnay, nous sommes dans une ville au contexte particulier », résume Bruno Beschizza, le maire Les Républicains de la ville, ex-syndicaliste policier, qui n’a pas défendu ses anciens collègues, prenant fait et cause pour Théo L. C’est ce proche de Nicolas Sarkozy qui a initié cette journée « pour que les jeunes puissent se mettre à la place de la police municipale », qui a la particularité d’être armée comme la police nationale et de patrouiller 24 h sur 24, 7 jours sur 7.

Nicolas, 37 ans, fait partie des quelque quatre-vingts policiers municipaux d’Aulnay-sous-Bois – la plus importante police municipale d’Ile-de-France. En onze ans de service, il assure n’avoir jamais connu une telle défiance et évoque « un besoin de recréer du lien » :

« On a eu beaucoup de reproches. Il y a eu une perte de repères et de confiance des administrés, qui ne se sentaient plus protégés. Les gens nous vomissaient. »

« A la suite de l’affaire Théo L., il y a eu un traumatisme, il fallait retisser un lien, en passant par une phase de reprise de contact », explique l’entourage du maire, précisant que, pour sortir du rapport de force police-habitants dans les quartiers, il fallait se retrouver « sur un terrain neutre », « dans un cadre ludique ». A savoir proposer onze activités au stade du Moulin-Neuf, axées d’un côté sur le sport et le jeu (escalade, viet vo dao, boxe, laser game), de l’autre sur le métier de policier : démonstration de chiens policiers, découverte des véhicules de police, passage en revue du matériel ou encore contrôle radar.

Effet miroir

Pour la majorité des jeunes inscrits – 1 300 au total sur les plus de 10 000 élèves scolarisés que compte la ville –, il s’agissait d’un premier contact avec la police. Pour les plus jeunes, comme Ilyane, 8 ans, cette journée aura permis « de mieux connaître le rôle des policiers ». Sa camarade de classe, Emilie, elle, est restée impressionnée devant l’attirail des forces de l’ordre : « Menottes, pistolet, matraque, taser, bouclier, casque, gilet pare-balles », énumère la fillette de 10 ans, qui ne pensait pas « qu’un policier pesait si lourd ».

Quant à Jilali, 11 ans, il parade avec son diplôme de secourisme, reçu après une formation express donnée par des policiers de Prox’Aventure, collectif de fonctionnaires bénévoles œuvrant à un rapprochement entre jeunes des quartiers prioritaires et police. A l’unisson, les participants reviennent sur la démonstration cynophile, présentant le rôle des chiens dans la police.

Une démonstration cynophile à Aulnay-sous-Bois, le 24 mai. | Gallosi Alexandre

« L’objectif était de montrer aux jeunes que la police est là pour les protéger, mais aussi pour interpeller les délinquants et les dealers », assume le maire Bruno Beschizza, selon qui « l’intervention de la police doit être reconnue comme légitime ».

« Ce que j’ai appris ? Si un méchant ne respecte pas les policiers, on lui met un coup de taser », résume Viktoria, 7 ans, pour qui « les policiers sont là pour protéger la ville ». Une mère de famille venue avec son fils voit aussi dans cette démarche une façon de « démystifier la police » : « On voit que ce sont des personnes avec qui on peut aussi parler. Ce ne sont pas que des Robocop qui ne sont que dans le répressif. »

« On crève l’abcès. Ce contact permet de casser les fantasmes », résume Nicolas, qui confie être venu avec des craintes « vu le contexte ». Pour M. Beschizza, cette initiative crée un « effet miroir » bénéfique des deux côtés : « Cette journée doit permettre aux jeunes de se mettre à la place des policiers pour comprendre que, de leur côté aussi, il y a du stress. Et vice versa. »

Réfractaires

Mais, chez certains, les a priori sur la police sont parfois farouches, surtout lorsqu’ils sont partagés par les parents. « Depuis l’affaire Théo L., ma mère me dit de rester bien calme, de faire attention aux policiers », fait savoir Amara, 17 ans, qui n’avait pas connaissance de cette journée, avant de s’y retrouver par hasard avec un ami.

La crainte des contrôles d’identité a la part belle dans les questions posées par les adolescents : « Pour quelles raisons vous contrôlez les gens ? » ; « Pourquoi vous les palpez ? » ; « Pourquoi vous contrôlez si souvent ? » Comme un leitmotiv, les policiers municipaux répètent « agir dans le cadre légal » et « être très contrôlés » eux-mêmes, précisant aussi que « comme dans tous les corps de métier, certains, très peu, ne sont pas exemplaires ».

Tyress, 14 ans, serait « tombé sur l’un d’eux », récemment. « Ils m’ont emmené en vérif [contrôle d’identité au commissariat avec palpation] pour rien », s’agace le jeune homme originaire de la cité de la Rose des vents, aussi appelée « les 3 000 ». Selon lui, les policiers sont « insolents et abusent trop souvent ». Pas question d’aller leur parler, « ça sert à rien ». Tyress est simplement venu « s’amuser ».

Ce témoignage fait dire à Omar, du collectif La Révolution est en marche, lancé après l’affaire Théo L. et qui tente de réconcilier policiers et habitants en organisant des rencontres, que « le public visé n’est pas le bon ». Aux jeunes réfractaires, Loïc Le Roux, le directeur de la police municipale d’Aulnay-sous-Bois, martèle qu’il est demandé à la police municipale un « comportement irréprochable », rejetant les dérapages sur la police nationale.

Revendiquant une « posture humble », le maire, lui, se dit conscient que cette journée « n’est pas la solution à tous les problèmes ».

Bruno Beschizza, le maire Les Républicains d’Aulnay-sous-Bois, saluant les policiers municipaux, le 24 mai. | Gallosi Alexandre

Séverine Maroun, première adjointe au maire, chargée de la sécurité et de la prévention, assure que d’autres chantiers sont prévus, notamment celui « d’entamer un dialogue avec les mamans », piliers des quartiers sensibles d’Aulnay-sous-Bois. Ces mesures seront scrutées de près par le collectif La Révolution est en marche, qui compte réclamer des formations pour apprendre aux habitants à réagir en cas de bavure. Signe que la défiance reste tenace.