A l’origine, les cours de Unity 3D de l’école des Gobelins, à Paris, étaient destinés aux graphistes et aux designers de jeux vidéo. Aujourd’hui, la majorité des étudiants sont des architectes, venus se former à la réalité augmentée. « Cette technologie propose un mélange entre des éléments réels et des projections en 3D », explique l’Américain Greg Lynn, précurseur, dans les années 1990, de l’architecture assistée par ordinateur.

Pour leur exposition à la galerie berlinoise Aedes, les architectes Dominique Jakob et Brendan MacFarlane ont juxtaposé des maquettes de leurs constructions aux photos des sites (ici, le Cube Orange de Lyon, 2010). | Jocob + MacFarlane

En juillet 2016, le grand public découvrait cette technologie avec l’application de jeu Pokemon Go, qui mettait en scène des créatures visibles des seuls joueurs munis de leur smartphone, donnant lieu à des scènes de « chasse » surréalistes dans la rue. « La réalité augmentée est beaucoup plus intéressante que la réalité virtuelle, qui n’est qu’une simple reproduction artificielle de la réalité », poursuit Greg Lynn qui utilise, comme beaucoup de ses confrères, les deux techniques conjointement.

En 2016, à la Biennale de Venise, il a présenté un projet de reconstruction d’une ancienne usine automobile de Detroit. Equipé d’un casque qui donnait la sensation d’être embarqué sur un drone géant, le visiteur pouvait à la fois plonger dans les bas-fonds du site désaffecté et découvrir la construction qui, un jour, s’élèverait sur ces ruines.

« Le risque est d’avoir des bâtiments pré-mâchés qui se ressemblent tous. Nous devons arriver à détourner ces logiciels pour retrouver notre propre langage. » Francis Soler, architecte

De plus en plus d’architectes — issus de gros cabinets, seuls capables de financer cet outil, y ont recours. « Nous vivons dans un monde d’images. Or, ces nouvelles technologies produisent des images beaucoup plus compréhensibles qu’un plan en 2D », estime Jean-Michel Wilmotte. Même s’il reste attaché aux dessins griffonnés sur papier, il reconnaît que les « supermaquettes » obtenues grâce à la réalité augmentée permettent d’avancer plus vite dans la conception. Les constructions futures pouvant désormais être « vues » in situ, par un effet « magique » jusqu’ici réservé au cinéma, l’architecte sait plus rapidement s’il est sur la bonne piste. « Cela permet aussi de faire rêver le client plus vite et plus tôt ! », s’enthousiasme-t-il.

Dans le cadre d’un groupe de travail organisé par l’association Paris-Île de France Capitale économique, l’architecte a présenté en février la maquette en réalités virtuelle et augmentée d’un projet follement ambitieux : réaménager les vingt kilomètres qui séparent Paris de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Dès la sortie du terminal, les voyageurs découvriraient une enfilade de pavillons vitrés à l’effigie du meilleur de la création hexagonale, de Chanel à Louis Vuitton, mais aussi des cités de l’automobile ou de l’art.

Le Français Jean-Michel Wilmotte a mêlé réalités virtuelle et augmentée pour son projet de réaménagement des vingt kilomètres séparant Paris de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. | Wilmotte & associés Architectes

Toujours à l’avant-garde, ses confrères Dominique Jakob et Brendan MacFarlane ont eux aussi intégré la réalité augmentée dans leur travail. Pour leur première rétrospective, qui vient de s’achever à Berlin, le duo s’est amusé à créer des projections de leurs constructions
les plus célèbres : les maquettes virtuelles du Cube orange, à Lyon, ou de la Cité de la mode et du design aux Docks de Paris, se juxtaposent aux photos des sites aujourd’hui terminés, dans une mise en scène avant - après aussi artistique que pédagogique.

En 2016, le pavillon américain de la Biennale de Venise présentait la maquette en réalité augmentée conçue par l’architecte Greg Lynn du site de Packard Plant, une ancienne usine automobile de Detroit (2 et 3). | Courtesy Greg Lynn Form

« Outil de communication », « attrape-client »… Certains architectes regardent avec méfiance l’essor de cette technologie. « Le risque est d’avoir des bâtiments pré-mâchés qui se ressemblent tous, alerte Francis Soler. Nous devons arriver à détourner ces logiciels pour retrouver notre propre langage. » Vont-ils pouvoir résister longtemps ?

En 2020, 100 millions de consommateurs feront leurs achats dans un environnement doté de réalité augmentée, selon l’institut d’études Gartner. Ikea propose déjà un service de visualisation qui permet d’intégrer le canapé repéré dans son propre intérieur. D’ici peu, il en ira des maisons individuelles comme des meubles du géant suédois : les clients pourront découvrir leur futur domicile dans son contexte réel, en visiter les moindres recoins, écouter le bruit du vent dans le jardin… Bien avant que la première pierre ne soit posée.