Emmanuel Macron, Angela Merkel et Jean-Claude Junker le 26 mai. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH POLITICS POUR LE MONDE

Editorial du « Monde ». A rebours du communiqué lénifiant du G7, dont la portée ne saurait être décryptée que par les exégètes, Angela Merkel a eu le mérite de la franchise. De retour en Allemagne, dimanche 28 mai, elle a tiré publiquement, à la tribune d’une réunion électorale à Munich, un bilan calamiteux de la tournée européenne de Donald Trump, à Bruxelles et au sommet du G7 de Taormine (Sicile), où le président américain faisait — comme Emmanuel Macron — ses premiers pas.

« Le temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres est en partie révolu. Je l’ai expérimenté ces derniers jours. C’est pourquoi, nous, les Européens, nous devons vraiment prendre en main notre propre destin », a lancé la chancelière, avant d’ajouter, comme pour s’excuser de tant d’audace : « Naturellement en amitié avec les Etats-Unis, en amitié avec la Grande-Bretagne et aussi autant que faire se peut en bon voisinage avec les Russes. »

Une semaine négative pour l’Allemagne

Plus encore que pour les autres Européens, en effet, la semaine passée a été très négative pour l’Allemagne. Sur la politique de défense, le président Trump a refusé de mentionner explicitement l’article 5 de la charte de l’Atlantique Nord, qui fait obligation à ses membres de porter secours à l’un d’eux s’il est attaqué.

Dépourvue de dissuasion nucléaire, l’Allemagne s’est toujours sentie vulnérable, en première ligne face aux Russes. Sur le climat, sujet majeur pour les Allemands, le président américain a bloqué toute allusion dans le communiqué final et Angela Merkel a dénoncé « une situation à six contre un » : « Il n’y a encore aucun signe quant à savoir si les Etats-Unis resteront ou non dans l’accord de Paris. »

Sur le commerce, le G7 évoque bien la lutte contre le protectionnisme, mais c’est après que Donald Trump a qualifié dans son langage si littéraire les Allemands de « bad, very bad » (« mauvais, très mauvais »), en raison de leurs excédents commerciaux excessifs. Enfin, pas un mot sur les réfugiés, deux ans après que l’Allemagne en a accueilli généreusement un million.

L’Allemagne connaît un profond désarroi, elle qui a toujours compté sur les Anglo-Saxons pour éviter d’être isolée sur le Vieux Continent.

On peut voir dans le propos de la chancelière une dramatisation délibérée : elle veut se présenter en pôle de stabilité, alors qu’elle brigue aux élections générales de septembre un quatrième mandat. En réalité, l’Allemagne connaît un profond désarroi, elle qui a toujours compté sur les Anglo-Saxons pour ne pas se trouver trop seule et trop puissante sur le Vieux Continent. D’un côté, les Américains ­garantissaient la paix et la sécurité, de l’autre les Britanniques défendaient le libre commerce face aux tentations protectionnistes françaises.

Un cavalier seul français serait inefficace

Le Brexit et l’éloignement américain, engagé en réalité dès la guerre en Irak de 2003, ont bouleversé cet équilibre. L’Allemagne, on l’a vu, ne veut pas être la seule puissance continentale : quand Angela Merkel dit « nous, les Européens », c’est un appel à la France qu’elle lance, seul recours au cas où les Américains et les Britanniques choisiraient inéluctablement le grand large.

Alors que Vladimir Poutine devait être reçu ce lundi 29 mai sous les ors du château de Versailles, le président Macron doit répondre à l’éloignement anglo-saxon et à l’appel de l’Allemagne, le premier depuis bien longtemps. Le nouveau chef de l’Etat doit veiller à ne pas s’engager dans un cavalier seul, qui fleurerait bon l’hubris et le gaullisme de grand-papa mais serait inefficace, voire contre-productif. La réponse est effectivement européenne.