Un renouvellement à marche forcée. Adoptée en janvier 2014, la loi sur le non-cumul des mandats va produire ses premiers effets à l’occasion des élections législatives des 11 et 18 juin et participer à la recomposition du paysage politique. Il ne sera désormais plus possible de siéger à l’Assemblée nationale tout en dirigeant un exécutif local, que ce soit une mairie, un conseil départemental ou régional.

Plus de 170 élus, selon un décompte du Monde, ont donc dû choisir ces derniers mois entre leur circonscription et leur ville.

Un crève-cœur pour Alain Marty, 71 ans, qui boucle son troisième mandat au Palais-Bourbon. Edile du parti Les Républicains (LR) de Sarrebourg (Moselle) depuis 1989, il a fait le choix de ne pas se représenter aux législatives. Il dénonce un « texte anti-maire » : « Il n’y aura plus de maires présents au Parlement, il y a donc le risque d’avoir des députés qui ne comprennent pas la réalité du terrain. »

« Petit goût d’amertume »

Après cinq années passées dans l’opposition « où on ne servait pas à grand chose », il a décidé, comme près de 80 de ses collègues, de privilégier son siège de maire, « un mandat bien plus concret, en prise directe avec les habitants ». « On apporte une réponse à leurs attentes, poursuit-il. Et puis maire, vous êtes dans un mandat collectif, il y a un travail d’équipe avec vos adjoints, c’est passionnant. »

C’est autant « l’engagement pris » en 2014 lors des élections municipales que cette impression d’être plus proche des citoyens en tant que maire, qui a poussé Alain Chrétien à ne pas prétendre à un second mandat de député.

« Le maire est l’élu le plus respecté. On m’appelle d’ailleurs tout le temps Monsieur le maire, jamais Monsieur le député, explique l’édile et président de la communauté d’agglomération de Vesoul (Haute-Saône). Quand on est député, on est un sur 577, il y a beaucoup de concurrence, c’est très frustrant. Alors que maire, on est le premier de tous. »

Et à l’heure du bilan, les souvenirs sont mitigés quant à ces années passées sur les bancs du Parlement. « A l’Assemblée nationale, il faut se demander, est-ce que votre mandat de parlementaire vous permet de changer fondamentalement les choses ?, questionne M. Marty. C’est vrai qu’au final ça peut laisser un petit goût d’amertume, notre rôle est assez limité. »

Un choix « hyperdifficile »

« A l’Assemblée, même pour une loi sur laquelle vous avez travaillé, le temps que les décrets d’application soient pris, vous ne voyez pas le résultat de ce que vous avez fait », abonde M. Chrétien.

Il prévient d’ailleurs les nombreux primo-députés qui vont faire leur apparition à l’Assemblée lors de la prochaine législature : leurs pouvoirs seront restreints. « Il faut une grosse dose d’humilité et bien connaître ces sujets, conseille-t-il. Il ne faut pas qu’ils croient qu’ils vont révolutionner la France en quinze jours. »

Mais malgré la « frustration » racontée par nombre de députés, ils sont plus de 90 ayant la double casquette de député et de maire à avoir fait le choix inverse et à se lancer dans une nouvelle bataille législative. Quitte à abandonner leur fauteuil de maire en cas de réélection. « C’était un choix hyperdifficile, l’attachement à une mairie est viscéral », souligne Joël Giraud, député PRG depuis 2002 et maire de l’Argentière-la-Bessée (Hautes-Alpes) depuis 1989.

« Je suis maire d’une commune détruite par le départ de l’usine d’aluminium Pechiney [qui était le premier employeur industriel du département, fermée en 1988], explique-t-il. Je me suis engagé dans le redressement de cette ville qui me tient à cœur où mon père aussi avait été maire. »

« A portée de baffe »

D’ailleurs, M. Giraud le reconnaît, il pensait d’abord rester édile. Mais la candidature puis l’élection d’Emmanuel Macron à l’Elysée a changé ses plans : « Il y a un piment particulier, une aventure nouvelle ». Le député radical fait partie de ces candidats qui n’ont pas d’adversaire issu de La République en marche.

Il sait déjà sur quels sujets il compte plancher en cas de victoire et ce qu’il pourrait apporter à son territoire, même en n’occupant plus le fauteuil de maire. « Il y a des dossiers sur lesquels j’ai envie de continuer à peser, explique l’élu des Hautes-Alpes, qui continuera à siéger au conseil municipal de l’Argentière-la-Bessée. Sur la question de la couverture numérique des zones de montagne par exemple, il faut aller plus loin. J’ai aussi envie d’assurer “le service après vote” de la loi montagne que l’on a votée en fin d’année. »

Si M. Giraud compte travailler sur ces thèmes montagnards, dans la Creuse, son collègue socialiste Michel Vergnier se représente pour pouvoir plancher sur la question des territoires ruraux. Et ainsi influencer le gouvernement et les autres parlementaires sur des sujets qui concernent sa ville, Guéret. « Les fragilités des territoires ruraux, on les connaît. Il faut maintenir les services publics et le tissu d’entreprises. C’est sur ces sujets que je compte continuer à travailler à l’Assemblée », précise le député, présent au Palais-Bourbon depuis 1997.

Et alors que le premier tour des législatives se profile, M. Vergnier regrette déjà de laisser son siège de maire en cas de victoire : « Là je vis au milieu des gens, à portée de baffe, il y a quelque chose d’affectif avec les gens de Guéret. Alors si je suis élu, tout de la mairie va me manquer… »