C’est sous une tente à bière qu’Angela Merkel a prononcé des mots lourds de sens sur la relation entre son pays et les Etats-Unis. | MATTHIAS BALK / AFP

En politique allemande, il ne faut jamais négliger l’importance de la dimension régionale. L’histoire retiendra que c’est sous une tente à bière à Munich, devant 2 500 militants de l’Union sociale-chrétienne (CSU), parti conservateur bavarois allié de l’Union chrétienne-démocrate allemande (CDU) que la chancelière Angela Merkel a prononcé l’une de ses déclarations de politique extérieure les plus remarquées et commentées dans la presse internationale.

« Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont en partie révolus. Je l’ai vécu ces derniers jours, a-t-elle lancé, dimanche 28 mai, au lendemain du délicat sommet du G7 à Taormine (Italie). Nous, les Européens, nous devons vraiment prendre en main notre propre destin. »

Ces mots ont largement été compris comme une constatation pragmatique, presque amère, d’une situation nouvelle : Angela Merkel juge qu’il est désormais difficile de compter sur le traditionnel allié américain, ou sur le Royaume-Uni post Brexit, dans la coopération internationale.

Le catastrophique sommet de Taormine

« Bien sûr, nous devons rester amis avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni, en bons voisins, là où cela est possible, ainsi qu’avec la Russie. Mais nous devons le savoir : nous devons lutter nous-mêmes, en tant qu’Européens, pour notre avenir et notre destin, » a martelé la chancelière.

Le sommet du G7 à Taormine, qui s’est achevé sans résultat tangible, a été jugé catastrophique par les membres de la délégation allemande. Sur le climat, Angela Merkel a même reconnu que les discussions s’étaient déroulées de façon « très insatisfaisante. »

« Ce que nous avons vécu lors du sommet ne correspond pas à ce que nous attendons d’un président américain, ni sur le plan intellectuel, ni sur le plan du potentiel de l’Amérique », a déclaré sans concession Jürgen Hardt, député membre de la CDU et coordinateur du ministère des affaires étrangères pour les relations transatlantiques, qui juge que « le président américain a raté une grande occasion de faire valoir son pouvoir d’orientation dans le monde. »

Durant son week-end très chargé, Angela Merkel a pris la pleine mesure du fossé qui sépare les Etats-Unis de l’Europe depuis l’élection de Donald Trump.

Trump, un tout autre visage de l’Amérique

Jeudi matin, à l’occasion d’une grande manifestation organisée à Berlin à l’occasion du Kirchentag – les journées de l’Eglise protestante allemande –, elle a célébré son amitié avec son ancien partenaire Barack Obama, devant plusieurs dizaines de milliers de personnes lors d’une discussion sur les valeurs de la démocratie.

Mais quelques heures plus tard, la chancelière se heurtait à un tout autre visage de l’Amérique. Sur le climat et les réfugiés, les discussions n’ont abouti qu’à un constat de désaccord. Pour conquérir Donald Trump, Angela Merkel n’avait pourtant pas ménagé ses efforts : outre son voyage à Washington, à la mi-mars, elle avait invité, fin avril, sa fille Ivanka Trump à Berlin à participer à ses côtés à une discussion sur le rôle des femmes dans l’économie dans le cadre du G20, en présence notamment de la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde.

Peine perdue. Durant le sommet, Donald Trump s’en est une fois de plus pris ouvertement aux excédents commerciaux allemands, jugés « très, très mauvais » (« bad, very bad »).

La déception affichée par Angela Merkel suite au sommet de Taormine marque un moment délicat dans les relations germano-américaines. La droite allemande a toujours mis l’alliance avec les Etats-Unis au cœur de sa conception de la politique extérieure. En 2003, elle avait ainsi défendu, contre le chancelier Gerhard Schröder, le soutien de Berlin à l’intervention américaine et britannique en Irak au nom de l’alliance avec Washington, et de leur « communauté de valeurs ».

La « communauté de valeurs » remise en cause

La réunion du G7 a été jugée catastrophique par la délégation allemande. Donald Trump incarne une Amérique moins coopérative que celle de Barack Obama. | Andrew Medichini / AP

Cette alliance s’appuie traditionnellement sur des événements historiques profondément marqués dans l’esprit des Allemands. L’ami américain est celui du Plan Marshall, du Pont aérien ou encore de la défense des libertés incarnée notamment par le fameux discours de John Fitzgerald Kennedy à Berlin en 1963 (« ich bin ein Berliner »). Cette Amérique-là semble désormais bien loin aux yeux d’Angela Merkel.

Les conséquences sont multiples. Sur le plan de la défense, la chancelière confirme ce qui est clair depuis plusieurs années : l’Union européenne – et notamment l’Allemagne –, doit investir davantage pour sa défense et ne plus compter uniquement sur l’aide militaire américaine pour assurer sa sécurité.

Plus grave, la coopération sur certains sujets ne va désormais plus nécessairement de soi : la « communauté de valeurs » est remise en cause ; jamais l’étendue des désaccords entre Berlin et Washington, sur le fond comme sur la forme, n’avait été à ce point présentée au grand jour.