Bruxelles a donné son feu vert ! La Commission européenne a annoncé, lundi 29 mai, qu’elle autorise EDF à prendre le contrôle d’Areva NP, la filiale du groupe nucléaire, rebaptisée New NP, qui assure la conception et la fabrication des réacteurs français (EPR, Atmea), mais aussi la maintenance de plus de la moitié des centrales dans le monde.

Les autorités de la concurrence, qui scrutent cette restructuration pour éviter toute aide d’Etat indue, analysait ce dossier sensible depuis le 18 avril. Elles ont récemment eu des échanges approfondis avec les représentants de l’électricien public, alors que les concurrents et les clients d’EDF n’ont visiblement pas manifesté d’opposition.

Dans son communiqué, la Commission indique que l’opération « ne soulèverait pas de problèmes de concurrence », que ce soit dans la conception et la construction de nouveaux réacteurs, les services aux centrales existantes, les systèmes d’instrumentation et de contrôle-commande des réacteurs, ou encore les assemblages de combustibles. Elle n’assortit donc son feu vert d’aucune condition.

Restructuration de la filière et sauvetage d’Areva

Ce mariage EDF-New NP, décidé par François Hollande en juin 2015, est la pierre angulaire de la restructuration de la filière nucléaire et du sauvetage d’Areva, qui a accumulé plus de 10 milliards d’euros de pertes entre 2011 et 2016. Alors ministre de l’économie, Emmanuel Macron avait souligné qu’il s’agit d’« une filière d’avenir en France comme à l’internationale.

EDF avait annoncé, fin 2016, qu’il allait acquérir jusqu’à 75 % de cette filiale New NP valorisée 2,5 milliards. Mais son objectif est de n’en détenir que la majorité de contrôle (51 %), le reste se partageant entre des partenaires industriels français ou étrangers.

Cette ouverture à d’autres actionnaires était le gage indispensable à donner aux gardiens bruxellois de la concurrence pour que l’opération ne soit pas interprétée comme une aide d’Etat déguisée. Celui-ci détient en effet plus de 83 % d’EDF.

Guerre sino-japonaise dans le nucléaire

Le futur actionnariat de New NP n’est pas stabilisé. Dès l’annonce de l’opération, Mitsubishi Heavy Industries (MHI) s’était dit prêt à prendre une partie du capital de la nouvelle filiale d’EDF. Mais le partenaire nippon de New NP, co-constructeur du réacteur de moyenne puissance Atmea (1 100 mégawatts), pourra-t-il s’entendre avec un autre actionnaire potentiel, China General Nuclear Power Corporation (CGNPC), partenaire historique d’EDF en Chine et aujourd’hui au Royaume-Uni, et lui aussi intéressé ?

Cette cohabitation sino-japonaise s’annonce difficile pour des raisons à la fois politiques et industrielles. Ces deux pays se font la guerre dans le nucléaire : le groupe chinois développe le « Hualong » (« Dragon »), concurrent du modèle franco-nippon Atmea. Et Pékin exige souvent que ses industriels, même minoritaires, aient une place prépondérante – ce que le gouvernement français leur a refusé dans le cadre de la recapitalisation d’Areva NewCo, recentré sur le cycle du combustible nucléaire (extraction et enrichissement de l’uranium, recyclage des combustibles usés, traitement des déchets). Les négociations actuelles avec les Chinois ne sont pas plus faciles.

Pour l’heure, seule la société française d’ingénierie Assystem, qui travaille depuis quarante ans avec Areva et EDF sur les centrales nucléaires, a fait une offre ferme : 125 millions d’euros pour acquérir 5 % du capital de New NP.

En attente du feu vert de l’Autorité de sûreté nucléaire

Début janvier, la restructuration de la filière avait franchi une autre étape cruciale : Bruxelles avait accepté que l’Etat actionnaire injecte 4,5 milliards d’euros dans Areva NewCo. MHI et Japan Nuclear Fuel Limited avaient alors annoncé un apport de 500 millions, portant la recapitalisation de l’« ancien Areva » à 5 milliards d’euros. Si l’on y ajoute 4 milliards d’euros pour EDF, les deux piliers de la filière bénéficieront de 9 milliards d’euros pour boucler les chantiers difficiles (comme l’EPR finlandais) et se relancer sur un marché de plus en plus concurrentiel.

L’autorisation de la vente de New NP à EDF était une des conditions posées par Bruxelles pour accepter cet apport en capital de 4,5 milliards pour la partie restante d’Areva. Une seconde doit encore être remplie : le feu vert de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française à la mise en service de la cuve du réacteur EPR en cours de construction à Flamanville (Manche). Elle doit se prononcer au cours de l’été.

Cet équipement a été forgé dans l’usine New NP du Creusot et son acier présente de trop fortes concentrations en carbone (fonds de cuve et couvercle). Un refus du gendarme du nucléaire – officiellement exclu par EDF – modifierait en effet l’opération EDF-New NP. Et il aurait des retombées catastrophiques sur toute l’industrie de l’atome civil.

Un enjeu lourd pour le Creusot

La prise de contrôle de New NP par EDF n’est pas prévue avant la fin du second semestre. Car outre la cuve de l’EPR, l’opération devra surmonter un dernier obstacle de taille : EDF attend les résultats de l’audit international mené sur l’outil industriel des usines de New NP au Creusot, Châlon-Saint-Marcel (Saône-et-Loire) et Jeumont (Nord).

L’enjeu est particulièrement lourd pour le Creusot, qui forge les grands composants de l’EPR, (cuve, générateurs de vapeur…). L’ASN y a détecté en 2015-2016 des « dysfonctionnements techniques et organisationnels majeurs », dont certains remontaient à plusieurs décennies. New NP va devoir faire la preuve de ses capacités à « garantir la qualité des futures fabrications au sein de cette usine », a prévenu l’ASN. Faute de quoi elle n’autorisera pas Creusot Forge à reprendre son activité, compromettant l’intérêt de son acquisition par EDF.

En attendant le mariage complet, dont certains analystes commencent à douter, EDF et New NP ont fusionné leurs bureaux d’ingénierie après avoir rapproché les équipes commerciales il y a un an. Mi-mai, le conseil d’administration du groupe d’électricité a approuvé la création d’Edvance, la nouvelle filiale spécialisée dans la conception et la réalisation des îlots nucléaires des centrales en construction en France et à l’étranger. EDF en détiendra 80 % et Areva 20 %.

« C’est une étape décisive dans la refondation de la filière nucléaire française », a souligné le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy. Elle lui permettra d’« être plus performante dans la construction de nouvelles centrales » et « plus compétitive » face à une concurrence étrangère toujours plus rude, qu’elle soit américaine, japonaise, russe, coréenne ou chinoise.