Des manifestants se protègent des canons à eau de la police anti-émeutes avec leurs pancartes, lundi 29 mai 2017 à Caracas, lors d’une manifestation contre le régime du président vénézuélien, Nicolas Maduro. | Ariana Cubillos / AP

Les ministres des affaires étrangères de 34 membres de l’Organisation des Etats américains (OEA) ont rendez-vous, mercredi 31 mai, pour aborder la crise du Venezuela. Le président vénézuélien, Nicolas Maduro, a réagi vivement à cette convocation, le 26 avril, en annonçant sa décision de se retirer de l’OEA, ce qui ne devrait pas prendre effet avant deux ans. Sans représentant de Caracas donc, les autres pays de la région vont débattre de la « grave altération institutionnelle de l’ordre démocratique » au Venezuela.

Aucune instance internationale n’a examiné le cas vénézuélien à un niveau aussi élevé, celui des chefs de la diplomatie. La crise qui ravage le Venezuela est à la fois politique et institutionnelle, économique et humanitaire.

D’autres organismes régionaux ne sont pas parvenus à trouver d’issue à la crise vénézuélienne. L’Union des nations sud-américaines (Unasur) a échoué dans une tentative de médiation en 2016 et se retrouve acéphale. La Communauté des Etats latino-américains et caribéens (Celac) peine à se réunir, faute de consensus.

« Lorsque les crises deviennent vraiment graves, on finit par se retourner vers l’OEA, remarque Alfredo Valladao, professeur à Sciences Po. L’OEA a une longue tradition juridique et diplomatique, une expertise reconnue en matière d’élections et de droits de l’homme. Fondée en 1948, c’est l’organisation régionale la plus ancienne au monde. Ses origines remontent à l’Union panaméricaine (1890). Contrairement à ceux qui la décrivent comme un instrument de Washington, c’est une instance multilatérale. »

Des voix contre du pétrole

Le multilatéralisme rend les résolutions de l’OEA ou d’éventuelles sanctions laborieuses, d’autant que l’ancien président vénézuélien, Hugo Chavez (1999-2013), avait trouvé le moyen de s’assurer un bon nombre de voix grâce au programme Petrocaribe, qui fournit du pétrole à des conditions avantageuses aux nations des Caraïbes.

Le secrétaire général de l’OEA, le socialiste uruguayen Luis Almagro, estime que la dérive autoritaire du régime vénézuélien justifie l’application des mesures prévues par la Charte démocratique interaméricaine souscrite par l’ensemble de ses membres. M. Almagro est devenu la bête noire de M. Maduro après avoir affirmé que « la seule issue viable à la crise est la convocation d’élections tout de suite ».

Les élections figurent en tête des revendications des opposants vénézuéliens, qui manifestent sans discontinuer depuis fin avril, et qui demandent aussi la libération des prisonniers politiques, le respect des attributions de l’Assemblée nationale (seul pouvoir contrôlé par l’opposition) et la séparation des pouvoirs, ainsi que l’ouverture d’un « canal humanitaire » pour que l’aide internationale puisse secourir les Vénézuéliens plus vulnérables face aux pénuries.

Des alliés inconditionnels et des soutiens

Le 26 avril, 19 Etats de l’OEA ont voté la convocation des ministres des affaires étrangères, 10 ont voté contre et quatre se sont abstenus. Le Venezuela compte trois alliés inconditionnels en Amérique du Sud (Bolivie, Nicaragua, Equateur) et des soutiens dans le bassin caribéen (Antigua-et-Barbuda, Haïti, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Sainte-Lucie et Suriname). Mais d’autres ont préféré l’abstention (Salvador, République dominicaine). Surtout, d’anciens alliés de M. Chavez ne soutiennent plus son successeur (Argentine, Brésil, Chili, Uruguay). Et des bénéficiaires de Petrocaribe prennent leurs distances avec Caracas (Barbade, Bahamas, Belize, Trinité-et-Tobago).

Il faudra les deux tiers des voix pour adopter une résolution. Le texte condamnerait les violences et appellerait à une négociation entre les Vénézuéliens. Il plaiderait pour un calendrier électoral avec des observateurs internationaux et l’autorisation de l’aide humanitaire. Enfin, l’Assemblée constituante sectorielle et corporative, convoquée par M. Maduro pour remplacer les élections et le suffrage universel, serait critiquée au nom de l’Etat de droit. Un « groupe de contact », composé de représentants de plusieurs pays, pourrait être chargé des relations avec les différents acteurs vénézuéliens.

La crainte d’un « effet dominos »

« Caracas compte encore des soutiens à l’OEA, souligne Carlos Romero, politologue de l’Université centrale du Venezuela. Et malgré le retournement d’une bonne partie de l’opinion internationale, Maduro dispose toujours d’alliés de poids, à commencer par Cuba et la Russie. »

La Havane soutient M. Maduro, même si la réduction des livraisons de pétrole et de devises de Caracas en échange de services de santé a provoqué une récession de l’économie cubaine en 2016. Les Russes ont pris le relais, car ils craignent, en cas d’effondrement du Venezuela, un « effet dominos » qui pourrait menacer leur allié cubain.

« Le Kremlin est de retour », écrit la blogueuse cubaine Yoani Sanchez. Après des années d’éloignement à la suite de l’implosion de l’Union soviétique, la puissance russe s’étale à nouveau à La Havane. L’ambassade russe est appelée « la tour de contrôle ». L’entreprise pétrolière russe Rosneft remplace les fournisseurs vénézuélien, tout en accordant des crédits à Caracas pour honorer la dette extérieure.

Les bonnes grâces de Moscou

Les Russes n’ont pas seulement vendu des avions Soukhoï et des kalachnikovs à M. Chavez, ils avancent des pions politiques et diplomatiques. Pour s’assurer les bonnes grâces de Moscou, le Venezuela est allé jusqu’à reconnaître la sécession de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, régions appartenant à la Géorgie, décision partagée uniquement par deux micro-Etats d’Océanie.

La crise vénézuélienne est désormais internationale. Elle provoque un afflux de réfugiés sur les frontières de la Colombie, du Panama et du Brésil. L’Amérique latine se sent concernée, les Caraïbes beaucoup moins.

Au Venezuela, le gouvernement comme ses opposants accordent une importance considérable à la communauté internationale, comme si elle pouvait peser dans l’évolution de la situation. M. Maduro se dit victime d’une conspiration orchestrée par Washington. Les dirigeants de l’opposition multiplient les voyages à l’étranger pour solliciter l’opinion mondiale. Les autorités ont réagi en confisquant le passeport de Henrique Capriles Radonski, ancien candidat à la présidence, et ceux d’autres opposants, qui ne peuvent ainsi plus quitter le territoire.