Un avion s’apprête à décoller d’une base égyptienne pour frapper des djihadistes qui se trouveraient à Derna, en Libye, le 26 mai. | AP

C’est sur le sol libyen, contre des « camps terroristes », que l’aviation égyptienne a riposté à l’attentat contre des coptes de la province de Minya, à 200 km au sud du Caire, qui a fait 30 morts et 23 blessés le 26 mai. Les chasseurs égyptiens ont visé dès vendredi des positions djihadistes à Derna, ville libyenne à environ 300 km de la frontière. Selon le quotidien en ligne Libya Herald, de nouvelles frappes ont pris pour cible, samedi, le district de Djoufra, à 200 km au sud de Syrte, soit beaucoup plus en profondeur dans le territoire libyen. Dans la nuit de dimanche à lundi, Derna a été de nouveau pilonnée, a indiqué au Monde Mansour Elhasadi, député de la ville au Congrès général national (CGN).

Les cibles frappées au cours du week-end ont-elles un rapport direct avec l’attentat de Minya ? « Il y a suffisamment d’informations et de preuves sur l’entraînement dans ces camps des éléments terroristes impliqués » dans l’attaque, a déclaré samedi le ministre des affaires étrangères égyptien, Sameh Choukri, à son homologue américain, Rex Tillerson, selon un communiqué.

Toutefois, l’organisation Etat islamique (EI), qui a revendiqué l’attentat anti-coptes, est absente de la ville de Derna. La branche libyenne de l’EI en avait été expulsée en juin 2015 lors d’affrontements fratricides avec d’autres groupes djihadistes regroupés sous le label de Majlis Choura Al-Moudjahidine Derna (« Assemblée consultative des moudjahidines de Derna »), plutôt proche d’Al-Qaida.

« Tous des extrémistes »

« L’EI n’est certes plus à Derna, mais la Majlis Choura partage les mêmes idées, ce sont tous des extrémistes », commente une source proche du maréchal Khalifa Haftar, le chef de l’Armée nationale libyenne (ANL) et homme fort de la Cyrénaïque (est), qui partage avec Le Caire le même agenda anti-islamiste. Derna est la seule ville de la Cyrénaïque qui échappe à son contrôle, et les raids égyptiens offrent une occasion à ses troupes, qui campent aux abords de la cité, de resserrer leur étau.

De même, les raids contre Djoufra s’inscrivent dans une offensive plus générale du maréchal Haftar contre ses adversaires, notamment les groupes liés à Misrata, à l’instar de la Benghazi Defense Brigade (BDB), qui s’opposent à son expansion vers l’ouest, notamment vers la capitale, Tripoli, tenue par les forces loyales au gouvernement d’« union nationale » de Faiez Sarraj. « Djoufra présente plus d’intérêt stratégique pour Haftar que pour les Egyptiens, relève Claudia Gazzini, analyste pour la Libye d’International Crisis Group (ICG). L’intervention égyptienne pourrait permettre à Haftar de repousser la Benghazi Defense Brigade hors de Djoufra, ce qu’il a échoué à faire jusqu’à présent. »

« L’Egypte ne veut pas reconnaître l’ancrage de l’EI sur son territoire, donc elle cherche une explication extérieure. » Dominique Thomas, EHESS

Quant au président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, les frappes en Libye lui permettent d’adresser à son opinion un message de fermeté à l’heure où le pays traverse une grave crise sécuritaire. Les quatre attaques revendiquées depuis décembre 2016 par l’EI contre la communauté copte ont mis en lumière l’échec de sa stratégie antiterroriste. Ses forces armées se sont révélées incapables de mater l’insurrection djihadiste – forte de 600 à 1 000 combattants –, qui a pris pied dans la péninsule du Sinaï depuis 2011 et a fait allégeance à l’EI sous le nom « Province du Sinaï » fin 2014. Elles n’ont pas davantage réussi à contenir l’expansion de l’EI dans le delta et la vallée du Nil, où, depuis mi-2015, les djihadistes revendiquent des attaques toujours plus meurtrières et spectaculaires sous le nom « Etat islamique en Egypte ».

Pour Dominique Thomas, chercheur associé à l’EHESS et spécialiste de la mouvance djihadiste, cet échec tient justement à une « lecture parcellaire et doctrinale du problème » par l’Egypte, faite « de simplifications et d’amalgames » entre groupes islamistes, lecture qu’il voit à nouveau à l’œuvre dans les frappes menées en Libye. « L’Egypte ne veut pas reconnaître l’ancrage de l’EI sur son territoire, explique-t-il, donc elle cherche une explication extérieure – la Libye –, ou à mettre la responsabilité sur son principal ennemi – les Frères musulmans. »

La Libye, pas un « sanctuaires » de l’EI

La Libye constitue certes la principale source d’approvisionnement en armement pour les djihadistes égyptiens, qui profitent de la porosité d’une frontière de 1 150 kilomètres au milieu du désert. Quelques centaines de combattants égyptiens seraient partis se battre au sein de l’EI en Syrie, en Irak et en Libye. Mais ce dernier pays ne constitue pas un « sanctuaire » pour les djihadistes qui frappent l’Egypte, estime M. Thomas, ni même pour ses propres djihadistes. « Aujourd’hui, l’EI peine à se reconstituer en Libye. Ses effectifs sont dispersés par petits groupes dans le sud et dans des zones difficiles d’accès », ajoute-t-il. Selon l’expert, de nombreux combattants égyptiens sont revenus de manière permanente en Egypte pour reconstituer des cellules actives. La campagne de l’EI contre les coptes égyptiens coïncide d’ailleurs avec l’échec de son projet libyen.