Un drone Reaper français engagé dans l’opération « Barkhane » vole au-dessus de l’aéroport de Niamey (Niger), en janvier 2015. | DOMINIQUE FAGET / AFP

Les drones, exemple des ratés de l’Europe de la défense ? « Alors que l’Europe possédait toutes les technologies et compétences nécessaires au développement d’une industrie de drones moyenne altitude longue endurance (MALE), elle est passée à côté de ce tournant majeur », avertit la commission des affaires étrangères et des forces armées du Sénat, qui a publié lundi 29 mai un rapport sur le sujet à l’adresse du nouveau gouvernement.

Les auteurs, Cédric Perrin (LR) et Gilbert Roger (PS), préconisent de « renforcer toutes les capacités en drones » de la défense française, mais aussi de « gagner le pari des drones européens » en accélérant les projets en cours. Parmi ses priorités générales, la ministre des armées, Sylvie Goulard, a évoqué lundi « un agenda européen crucial ».

Absence de volonté politique et rivalités industrielles

Les drones MALE, capables de voler plus de 24 heures au-dessus de 5 000 mètres d’altitude, sont le type d’appareils pilotés à distance que la France utilise, non armés, pour cibler les djihadistes au Sahel. Les mêmes que les Etats-Unis emploient massivement, chargés de bombes, eux, sur tous les fronts.

Renvoyées dos à dos, l’absence de volonté politique pour lancer des programmes et les rivalités industrielles, y compris françaises (entre Dassault et Airbus, notamment), ont longtemps paralysé le dossier, alors que le besoin militaire allait croissant pour le renseignement et la surveillance.

Depuis 2004, plusieurs projets européens de drones MALE ont échoué. Le dernier lancé reste à concrétiser. En mai 2015, rappellent les sénateurs, une lettre d’intention a été signée entre l’Allemagne, l’Italie et la France, rejointes par l’Espagne, puis un contrat d’étude a été passé fin 2016, pour deux ans, à trois industriels à hauteur de 60 millions d’euros. Mais, outre que l’on espérait initialement ces appareils pour 2020, il reste à se mettre vraiment d’accord sur « un besoin militaire partagé ».

Or, les auteurs du rapport se disent « très inquiets » de voir les quatre partenaires arc-boutés sur leurs besoins spécifiques, au risque de tuer la viabilité du projet commun. Il faudrait arriver à « un coût unitaire de 80 à 100 millions d’euros par système, inférieur à celui d’un Reaper américain qui est de l’ordre de 150 à 200 millions », écrivent-ils.

Prototype de futur drone de combat

L’autre défi, au-delà de 2030, concerne le futur drone de combat, ou « avion de combat piloté à distance », qui pourra en partie suppléer les chasseurs Rafale. « Un tournant à ne pas manquer », cette fois. L’Europe est bien engagée, selon les sénateurs, puisqu’un prototype, le Neuron, allie des industriels français (majoritaires avec Dassault), italien, suédois, espagnol, et grec. Les accords bilatéraux franco-britanniques prévoient aussi de lancer un programme avant la fin 2017.

En attendant, la France, comme plusieurs de ses alliés européens, utilise des drones américains Reaper, qu’elle a achetés en 2013 sous conditions... américaines. Le rapport reprend les arguments des industriels français pour critiquer l’absence d’autonomie française résultant de ce choix. Outre qu’ils ne pourront pas voler en France et en Europe avant 2019, en raison des règles de certification aérienne, les cinq Reaper français basés à Niamey (Niger) pour l’opération « Barkhane » doivent pour l’heure être entretenus par des techniciens de l’entreprise General Atomics.

Garantir l’autonomie stratégique de la France

La France doit, aussi, faire « une demande spécifique au Congrès pour chaque nouvelle zone de déploiement ». Si, demain, elle veut armer ses drones, il faudra, là encore, repasser par la case américaine pour les adapter.

En outre, l’armée de l’air doit acquérir en 2018 un capteur de renseignement d’origine électromagnétique aux Etats-Unis pour ses appareils, ce qui « pose des questions en termes de souveraineté car la confidentialité du flux de données n’est pas garantie », souligne le rapport sénatorial.

Ce problème sera limité dans les faits, notent les spécialistes, car intercepter en temps réel les données ainsi captées exige des moyens. Un système de cryptage pourrait aussi être produit. Il n’empêche : la sacro-sainte autonomie stratégique française n’est pas totalement au rendez-vous sur cet outil décrit aujourd’hui comme « indispensable » par les armées.