LES CHOIX DE LA MATINALE

La déferlante cannoise passée, la vie des salles reprend son cours ordinaire. Modestement, bien sûr, mais résolument. Quatre films recommandables cette semaine, qui tournent tous autour de l’inépuisable sujet : l’amour. Parmi eux, l’un des plus beaux qu’on ait vus à la Quinzaine des réalisateurs, signé par le maître artisan Philippe Garrel.

LE PÈRE, LA FILLE ET L’AMANTE : « L’Amant d’un jour »

L''AMANT D'UN JOUR Bande Annonce (Cannes 2017)

Le dernier film en date de Philippe Garrel, l’ex-petit frère soixante-huitard de la Nouvelle Vague, aujourd’hui l’un des plus grands peintres de nos fluctuations intimes et sentimentales, sort en salle dans la foulée de sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, dont il revient récompensé du Prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (ex aequo avec Un beau soleil intérieur, de Claire Denis).

L’Amant d’un jour s’inscrit dans la continuité du récent virage négocié par Garrel avec La Jalousie (2013) et L’Ombre des femmes (2015), qui dessinent une série de films pointillistes, aussi concis que des nouvelles, brossés dans de splendides lavis en noir et blanc, et consacrés à chaque fois au récit particulier d’un « épisode » amoureux.

Ici une étudiante vit une histoire d’amour avec son professeur de philosophie (Eric Caravaca), dont elle partage l’appartement. Ils doivent cohabiter avec la fille de ce dernier, venue frapper à sa porte à la suite d’une rupture. Les deux jeunes femmes se soutiennent mutuellement, l’une pour surmonter les tourments de la séparation, l’autre pour cacher ses fréquentes incartades. Des secrets partagés (une tentative de suicide avortée, des photos compromettantes) les liguent dans le dos du père, mais leurs ethos amoureux, en tout point opposés, les conduisent à leur insu à se tirer dans les pattes. Mathieu Macheret

« L’Amant d’un jour », film français de Philippe Garrel. Avec Louise Chevillotte, Esther Garrel, Eric Caravaca (1 h 16).

LA COMÉDIE DES QUINQUAS DÉLAISSÉS : « Marie-Francine »

MARIE-FRANCINE - Bande-annonce

Une comédie romantique avec des protagonistes âgés de 50 ans. A partir de ce petit défi scénaristique, Valérie Lemercier a imaginé les situations de Marie-Francine et Miguel, forcés l’un comme l’autre de retourner vivre chez leurs parents après s’être successivement fait plaquer par leurs conjoints et virer de leur boulot.

Interprétée par la réalisatrice elle-même, Marie-Francine est une chercheuse en biologie issue d’une famille de la haute bourgeoisie parisienne qui rallume, en la voyant revenir au bercail, son moteur de machine à reproduction sociale.

Aussi accueillants qu’insensibles au cataclysme qui la frappe, bien décidés à la voir lever le camp le plus vite possible, les parents activent tous leurs réseaux pour lui trouver un nouveau Jules et la poussent à ouvrir une boutique d’e-cigarettes plutôt qu’à attendre un hypothétique rebond dans son secteur. Sans plus de prétention que celle de faire un film à la fois personnel et populaire, Lemercier soigne les détails de sa mise en scène comme on polirait un bijou fantaisie. Isabelle Regnier

« Marie-Francine », film français de Valérie Lemercier. Avec Valérie Lemercier, Patrick Timsit, Hélène Vincent, Denis Podalydès (1 h 35).

SEA, SEX AND DEPRESSION : « Suntan »

Suntan Official Trailer 1 (2017) - Makis Papadimitriou Movie

Kostis, la quarantaine, médecin solitaire et introverti, s’installe à la demande de la municipalité dans la petite île grecque d’Antiparos. Après la calme torpeur et le gris ennui de l’hiver, celle-ci se transforme, tous les étés, en lieu de villégiature bruyant et survolté. A grand renfort de fêtes arrosées et de boîtes de nuit, de baignades naturistes dans des endroits surpeuplés, une sorte de fureur hédoniste et insouciante s’empare du lieu.

Kostis fait la connaissance, à la faveur d’une consultation médicale pour un accident bénin, d’un groupe de jeunes vacanciers insouciants et délurés. Suntan est ainsi le récit d’une mini-déchéance tout autant que la peinture grinçante et précise d’une spirale masochiste dans laquelle se laisse glisser le principal protagoniste.

Le plaisir paradoxal pris au film est justement celui d’une joie mauvaise, entretenue par le sentiment d’assister aux malheurs d’un protagoniste pathétique et lourdaud. Le masochisme du personnage n’appelle-t-il pas le sadisme du spectateur ? Jean-François Rauger

« Suntan », film grec d’Argyris Papadimitropoulos. Avec Makis Papadimitriou, Elli Tringou, Dimi Hart (1 h 44).

UNE JEUNE PROVINCIALE À PARIS : « Drôle d’oiseaux »

DRÔLES D'OISEAUX Bande Annonce (2017) Virginie Ledoyen

Mavie, jeune provinciale déboussolée à Paris, logée chez une amie délurée qui passe son temps à faire bruyamment l’amour dans la pièce d’à côté, fait la rencontre d’un homme (Jean Sorel, acteur à la carrière pléthorique et méconnue) qui a trois fois son âge.

Ténébreux, détenteur d’un mystère dont on finira par comprendre qu’il a trait à un engagement politique radical du côté de l’Italie, il tient une librairie d’occasion à moitié désaffectée dans le Quartier latin, dont il n’a visiblement que faire. Il y embauche Mavie, le couple nouant petit à petit une relation élective d’ordre amoureux.

Pendant ce temps, des oiseaux tombent régulièrement du ciel, les rues sont étrangement vides, les cadavres s’escamotent, Paris ressemble à un décor de théâtre. Tout cela est fragile, délicat, séduisant. Jacques Mandelbaum

« Drôle d’oiseaux », film français d’Elise Girard. Avec Lolita Chammah, Jean Sorel, Pascal Cervo, Virginie Ledoyen (1 h 10).