Khaled Ali au Caire, le 16 janvier. L’avocat égyptien est poursuivi pour « outrage à la morale publique ». | MOHAMED ABD EL GHANY / REUTERS

L’espace d’expression se réduit jour après jour pour la société civile et les rares voix encore indépendantes en Egypte. Depuis qu’il s’est imposé en homme fort du pays, à l’été 2013, le président Abdel Fattah Al-Sissi a, au nom de « la sécurité nationale », remis en cause une à une les libertés acquises à la faveur de la révolution de 2011.

Et le chef de l’Etat semble déterminé à porter le coup de grâce. Lundi 29 mai, il a promulgué la loi qui encadre l’activité des organisations non gouvernementales (ONG). Ce texte, voté au Parlement en novembre 2016, condamne à la disparition les associations de défense des droits de l’homme et met de sérieuses entraves à l’action des groupes caritatifs, même apolitiques.

Les membres des 46 000 ONG égyptiennes devront limiter leurs activités aux secteurs du développement et des questions sociales, sous peine de cinq ans de prison. Une autorisation préalable est requise pour mener un travail de terrain ou une enquête d’opinion, ainsi que pour « coopérer de quelque manière que ce soit avec des instances internationales ».

Les ONG étrangères seront, quant à elles, contrôlées par une instance composée de représentants de l’armée, du renseignement et du ministère de l’intérieur.

Les médias en coupe réglée

« C’est la pire [loi] de l’histoire », a commenté à l’AFP Mohamed Zaree, directeur de l’Institut pour les études des droits de l’homme du Caire, sous le coup d’une interdiction de sortie du territoire et dont l’organisation est poursuivie « pour avoir reçu des fonds d’entités étrangères nuisant à la sécurité nationale ».

Les militants pour les droits civiques, nombreux à être inquiétés par les autorités, s’attendent au pire. « On pourrait finir en prison (…) et voir disparaître toute la société civile bâtie au cours des trente dernières années », alertait, avant le vote, Hossam Bahgat, qui a fondé l’Initiative égyptienne pour les droits personnels.

L’encadrement des médias et des réseaux sociaux devrait suivre. Il est à l’ordre du jour au Parlement. Le pouvoir n’a toutefois pas attendu que des lois soient votées pour mettre les médias en coupe réglée. La censure a été rétablie au nom de « la sécurité nationale » et des instances de contrôle créées. Soixante-deux journalistes sont emprisonnés, selon le Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’homme (Anhri).

Le 25 mai, vingt-et-un sites Web de médias ont été bloqués par les autorités. Une majorité d’entre eux sont liés au Qatar, avec qui l’Egypte et ses alliés dans le Golfe (Arabie saoudite et Emirats arabes unis) sont en conflit, ou à la confrérie des Frères musulmans, classée organisation terroriste.

Le journal en ligne indépendant Mada Masr en a aussi fait les frais, comme le quotidien libéral anglophone Daily News Egypt, qui ont publié des articles sur les violations des droits de l’homme et les dérives de la lutte antiterroriste, ainsi que le site économique Boursa News.

Limiter l’accès à Twitter et Facebook

Selon Amnesty International, une nouvelle vague d’arrestations a visé, en mai, au moins 36 personnes dans dix-sept villes d’Egypte, dont 26 sont toujours détenues pour des charges antiterroristes ou pour « insulte au président » sur les réseaux sociaux.

Toutes appartiennent à des partis et à des groupes de jeunes liés à l’opposition de gauche et libérale. Le 19 mai, le ministère de l’intérieur avait déjà annoncé l’arrestation de 40 personnes accusées d’« incitation à la violence » sur les réseaux sociaux. Le Parlement entend désormais légiférer pour contrôler l’accès à des sites comme Twitter et Facebook.

« La répression contre les militants politiques est un nouveau signe du désir des autorités égyptiennes d’écraser toute opposition pacifique et d’étouffer toute vision alternative », déplore Najia Bounaim, directrice d’Amnesty pour l’Afrique du Nord. Des dizaines d’anciens révolutionnaires croupissent déjà en prison pour avoir défié l’interdiction de manifester.

Cette fois, pour Amnesty International, l’objectif est d’écarter tout rival potentiel du président Sissi en vue de l’élection présidentielle de 2018. L’organisation en veut pour preuve le procès qui s’est ouvert au Caire, le 29 mai, contre l’avocat des droits de l’homme et activiste de gauche, Khaled Ali.

L’homme de 45 ans est poursuivi pour « outrage à la morale publique » en raison d’une photo – dont il nie l’authenticité – où on le voit faire un geste obscène de la main après avoir obtenu de la justice, en janvier, le blocage du projet du président Sissi de rétrocéder à l’Arabie saoudite les îles de Tiran et de Sanafir, situées au large de Charm El-Cheikh.

L’annulation de cette décision, impopulaire auprès des Egyptiens, a offert à cet ex-candidat malheureux à la présidentielle de 2012 un succès autant politique que médiatique. Une condamnation pourrait contrarier son ambition affichée de se présenter à nouveau l’année prochaine.