Richard Ferrand le 11 mai. | POOL / REUTERS

Editorial du « Monde ». Quand on professe la vertu, mieux vaut être exemplaire. Et ne laisser place à aucun soupçon de dissimulation ou de tartufferie. Candidat des Républicains, François Fillon en a fait l’expérience ravageuse durant la campagne présidentielle. Marine Le Pen également, qui se présentait, au nom du Front national, « tête haute et mains propres ». L’un et l’autre ont été mis en cause par la justice pour des affaires d’emplois présumés fictifs, le premier à l’Assemblée nationale, la seconde au Parlement européen.

Après la présidentielle déstabilisée, les élections législatives vont-elles, à leur tour, être parasitées par ces affaires qui, depuis trop longtemps, jettent le doute sur la probité des responsables politiques ? C’est à craindre. Et c’est très fâcheux pour le nouveau pouvoir exécutif et au premier chef pour le président de la République, qui a fait de la moralisation de la vie publique l’un de ses chantiers prioritaires.

Car ce sont bien les méthodes ou les usages de la politique « à l’ancienne » qui refont surface depuis une semaine, au gré des révélations de la presse mettant en cause Richard Ferrand. Député (PS) depuis 2012, fidèle de la première heure d’Emmanuel Macron et pilier du mouvement En marche !, qui a porté celui-ci au pouvoir, le ministre de la cohésion des territoires apparaît, en effet, coutumier du mélange des genres entre ses intérêts privés et l’intérêt public.

Qu’il s’agisse, notamment, de l’opération immobilière dont, alors directeur général des Mutuelles de Bretagne, il avait fait bénéficier sa compagne en 2011, ou de la façon dont, une fois élu député, il a signé et défendu une proposition de loi permettant aux mutuelles de mettre en place des réseaux de soins, le nouveau ministre a su, manifestement, remercier ses proches ou ses amis.

Il n’y a rien là d’illégal, se défend l’intéressé. Et l’argument a été martelé, mardi 30 mai, par le premier ministre. Tout ministre qui serait mis en examen par la justice serait immédiatement invité à démissionner, a indiqué Edouard Philippe. Mais puisque le parquet n’a, à ce jour, rien trouvé de répréhensible dans les agissements de M. Ferrand, il n’y a aucune raison de lui demander de quitter le gouvernement.

Atmosphère délétère

Les deux hommes ont formellement raison, mais politiquement tort. En effet, maintes enquêtes témoignent que trois Français sur quatre jugent la plupart des hommes politiques « corrompus », et ce sentiment, même s’il est largement infondé, alimente le refrain du « Tous pourris » dont se nourrissent tous les populismes. Le premier ministre s’est dit tout à fait conscient de cette atmosphère délétère. Mais, en se situant sur le seul terrain de la légalité, il occulte le fait que ce sont des pratiques et des petits arrangements du monde politique que, désormais, les citoyens ne supportent plus.

En outre, l’attitude de M. Ferrand est particulièrement embarrassante au moment où le gouvernement met la dernière main à une nouvelle série de dispositions législatives destinées – après bien d’autres – à moraliser la vie politique. Ce télescopage ne peut que jeter le trouble.

L’ancien premier ministre Raymond Barre avait, en son temps, formulé simplement les choses. « En politique, on ne peut utiliser le principe de la présomption d’innocence comme un bouclier », jugeait-il. Et il ajoutait : « Quand on occupe une fonction importante, dès qu’il y a soupçon, il vaut mieux partir. » La question est posée.