Anthony Levandowski est au cœur d’une bataille judiciaire entre Uber et Google, son ancien employeur, qui l’accuse d’avoir volé des secrets industriels. Ici, en septembre  2016. | ANGELO MERENDINO / AFP

Uber tente de couvrir ses arrières. Mardi 30 mai, la plate-forme américaine de voitures avec chauffeur (VTC) a annoncé le licenciement d’Anthony Levandowski, son ingénieur vedette à qui elle avait confié en 2016 la responsabilité de son projet de développement de véhicules autonomes. Depuis plusieurs mois, il était au cœur d’une bataille judiciaire avec Google, son ancien employeur qui l’accuse d’avoir volé des secrets industriels.

Dans sa lettre de licenciement, Uber justifie sa décision par le refus de M. Levandowski de collaborer avec l’enquête interne lancée pour vérifier les accusations de Waymo, la filiale de Google chargée des voitures sans conducteurs. La société lui reproche aussi de ne pas avoir respecté une échéance fixée pour remettre des documents demandés par la justice. Son licenciement sera effectif le 15 juin.

Recruté par le moteur de recherche en 2007, M. Levandowski faisait partie de la petite équipe à l’origine du projet de Google Car. Il était chargé des travaux sur le matériel, et en particulier sur le Lidar, un système de lasers qui permet de cartographier l’environnement et les obstacles en temps réel. Il quitte ses fonctions début 2016, pour se consacrer à Otto, la start-up qu’il a fondée pour concevoir des poids lourds autonomes. Celle-ci est rachetée sept mois plus tard par Uber pour près de 700 millions de dollars (626 millions d’euros).

Feuilleton judiciaire

Selon Waymo, M. Levandowski a dérobé environ 14 000 documents confidentiels, portant notamment sur le Lidar, quelques semaines avant son départ. L’entreprise estime que ces fichiers ont profité à Otto, puis à Uber. Des accusations que la société de VTC rejette. L’affaire est portée devant la justice américaine. Le principal intéressé refuse alors de témoigner. Mi-mai, le juge chargé du dossier lui interdit de participer aux travaux sur le Lidar. Mais Waymo n’obtient pas de la justice que son concurrent mette en « pause » ses projets.

Malgré ce licenciement, le feuilleton judiciaire entre les deux rivaux va se poursuivre. Début mai, la demande d’arbitrage formulée par Uber a été rejetée, ouvrant ainsi la voie à un procès que la société espérait éviter, notamment pour ne pas être contrainte de divulguer publiquement des informations confidentielles. Celui-ci devrait se tenir à l’automne. En outre, l’affaire a également été transmise au procureur général des Etats-Unis, afin d’examiner si elle nécessite l’ouverture d’une enquête criminelle.

En attendant le procès, le départ de M. Levandowski pourrait avoir des conséquences sur l’avancée de recherches d’Uber. Non seulement le responsable est l’un des meilleurs experts dans le domaine, mais il est également à l’origine du recrutement de nombreux ingénieurs. Sur un marché de l’emploi très compétitif, ils pourraient choisir de s’en aller. En outre, des tensions internes existent déjà entre les équipes qui sont à San Francisco et celles, plus anciennes, situées à Pittsburgh.

Un enjeu existentiel

L’enjeu est d’autant plus important que l’entreprise, qui a tardé à se lancer dans la voiture autonome, accuse toujours un important retard sur la concurrence. D’après des documents internes obtenus par le site Recode, les chauffeurs de ses prototypes doivent en effet reprendre le contrôle tous les 1,5 kilomètres. Chez Waymo, les interventions humaines sont espacées en moyenne de 8 000 kilomètres.

Pour Uber, concevoir une voiture sans conducteur est « juste existentiel », expliquait en 2016 Travis Kalanick, son fondateur et patron. L’entrepreneur craint en effet que d’autres sociétés ne viennent grignoter son gagne-pain, en lançant des réseaux de taxis autonomes. Outre Waymo, les constructeurs américains General Motors et Ford poursuivent cet objectif. « Nous devons avoir une alternative, sinon nous perdrons toute notre activité », reconnaît M. Kalanick.

A terme, Uber espère déployer une gigantesque flotte de véhicules sans conducteur. M. Kalanick évoque par exemple le chiffre d’un million dans la région de San Francisco. Cela permettrait de casser encore plus les prix proposés à ses clients. Et ainsi de se rapprocher de son objectif : devenir une option moins coûteuse que l’achat d’une voiture. « Une grande partie de sa valorisation d’environ 70 milliards de dollars repose sur le potentiel représenté par les véhicules autonomes », souligne Evan Rawley, professeur à l’université de Columbia.