Moussa Kadi, ici à l’entrée du village de Koulkimé, au Tchad, a été enlevé par la secte djihadiste et était devenu un de ses combattants, avant de se rendre aux autorités. | Michael Zumstein/Agence VU pour Le Monde

Moussa Kadi est un repenti de Boko Haram. Mais à Koulkimé, on l’appelle un « rendu », car il fait partie des hommes que le groupe terroriste leur avait pris. Le jeune homme au visage marqué des longues entailles propres au peuple Buduma est rentré il y a six mois, après deux ans passés entre le Cameroun et le Nigeria « à faire le djihad ». Il vit aujourd’hui dans ce camp de déplacés où sa famille a trouvé refuge après avoir fui les violences du mouvement islamiste.

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Maloum Abakar Boucarmi, le chef du camp, assume ce pardon offert à Moussa et à quelque 280 autres « rendus ». « Ce sont nos parents, ils ont été trompés, endoctrinés. Ce sont des victimes », répète-t-il à l’ombre du grand acacia où les hommes se rassemblent pour discuter. Les déplacés de Koulkimé vivaient sur des îles près de la frontière avec le Nigeria. Leurs villages ont été brûlés, leurs animaux volés. Et les hommes ont été enlevés pour devenir les soldats du califat proclamé par le leader de Boko Haram, Abubakar Shekau, en 2014. Des femmes et des enfants, aussi, ont disparu pour être réduits, au mieux, à la domesticité dans les territoires conquis pour ce nouveau royaume.

Sur la rive nord du lac, Koulkimé est à une journée de marche de leur ancien village, mais à un kilomètre seulement d’un poste militaire, pour « être en sécurité ». Dans la région du lac Tchad, 130 000 personnes ont dû quitter les îles et attendent dans des camps le retour à la paix. Ils dépendent de l’assistance humanitaire et de la solidarité des communautés environnantes pour subvenir à leurs besoins.

Plus de 1 200 « rendus » tchadiens

Il est difficile de savoir ce qui a motivé cette réintégration, au-delà du choix du préfet de Baga Sola, qui, après les avoir gardés pendant trois mois dans le lycée inoccupé de la ville, a préféré les renvoyer. Baga Sola est l’un des chefs-lieux administratifs de la région du Lac. La ville, cible en 2015 de plusieurs attaques « kamikazes », héberge aujourd’hui d’importants contingents militaires.

« Ils ont tous été interrogés par les services de renseignement, puis ils ont été remis au représentant de l’Etat, c’est-à-dire moi, explique Di Mouya Souatebe. Je les ai nourris, habillés, hébergés. Nous avons considéré qu’ils n’étaient pas dangereux, alors nous avons demandé aux chefs de village de les accueillir. » Bien sûr, s’empresse d’ajouter le préfet, il en va autrement pour « ceux qui sont arrêtés sur le champ de bataille » : « Ceux-là, on les envoie directement à Koro Toro [un bagne situé en plein désert] avant de les juger. » Au total, plus de 1 200 membres de Boko Haram sont venus se rendre aux autorités tchadiennes au cours des derniers mois.

Le village de Koulkimé, sur les rives du lac Tchad, accueille 280 « repentis » de Boko Haram. Dans leur grande majorité, ils avaient été enlevés par la secte djihadiste. | Michael Zumstein/Agence VU pour Le Monde

Entre les cases de paille de maïs qui servent d’abri aux déplacés, Moussa Kadi traîne sa longue silhouette drapée d’un boubou bleu ciel comme s’il ne savait où aller pour échapper à sa triste notoriété : « Il est le premier qui est rentré », lance le chef Boucarmi en le montrant du doigt pour qu’il vienne témoigner.

« J’ai tué beaucoup de personnes »

A l’écart du groupe, l’homme de 24 ans parle d’une voix enfantine qui jure avec le récit de ses atrocités. Enlevé avec « plusieurs centaines d’autres », il a d’abord passé six mois au Cameroun avant de rejoindre l’Etat de Borno, au Nigeria, où est né Boko Haram. Comme il était bon soldat, son chef – un Nigérien – lui a rapidement confié un bataillon avec des armes. « J’étais parmi les meilleurs. Nous avons pillé des villages, attaqué des bases militaires pour récupérer des armes, nous avons même conquis de grandes villes », se souvient-il en citant les noms de Doro Naira et de Baga. La prise de Baga, en janvier 2015, reste le pire massacre attribué à Boko Haram.

« J’ai tué beaucoup de personnes. Combien ? Je ne sais pas. C’était mon destin. J’aurais dû avoir la force de refuser mais je n’ai pas pu », poursuit-il en levant ses yeux jusqu’alors fixés sur le sol, comme pour chercher un signe de compréhension. Moussa parle aussi de ces heures passées à réciter le Coran, de ce nouvel ordre promis par Boko Haram, où « les fonctionnaires n’auraient plus le pouvoir de distribuer des amendes parce qu’on a abattu un arbre ou parce qu’on pêche avec un mauvais filet », où il ne subirait plus « la corruption ».

« J’ai presque failli y croire », reconnaît-il. Jusqu’à ce soir où il décide de s’enfuir avec sept soldats et une femme. « Nous avons marché toute la nuit. J’avais une bombe et un fusil. Le matin, nous avons franchi la frontière et nous sommes allés nous rendre. »

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Depuis son arrivée à Koulkimé, Moussa a repris contact par téléphone avec ses compagnons de captivité. « Je leur dis que je suis sain et sauf et qu’ils peuvent rentrer. » Il affirme en avoir fait revenir 120. Pour l’instant, c’est ainsi qu’il occupe sa vie. Son avenir ? Il n’en sait rien. Au milieu des déplacés, il dit tenir « le coup dans sa tête, être calme ». Mais, surtout, ce qu’il veut qu’on sache, c’est qu’il a faim. Les « rendus » sont à la charge de leur communauté. S’ils peuvent participer aux consultations de soutien psychologique organisées par Médecins sans frontières (MSF) pour les déplacés, ils n’ont en revanche pas encore accès à l’aide alimentaire.