Andriy Kobolev, PDG de Naftogaz. | YURIY KIRNICHNY / AFP

La « guerre du gaz » va-t-elle recommencer entre la Russie et l’Ukraine, en conflit larvé depuis trois ans à travers leurs compagnies publiques Gazprom et Naftogaz ? Alors que les accords de Minsk sur le retour à la paix dans l’est ukrainien ne sont toujours pas appliqués, une décision importante a été prise, mercredi 31 mai, par la Cour d’arbitrage international de Stockholm, saisie en juin 2014 au plus fort de la crise entre les deux pays notamment marquée par l’annexion de la Crimée par les Russes.

Spécialiste des contentieux économiques nés de la dislocation de l’Union soviétique en 1991, la Cour de Stockholm « a entièrement satisfait les demandes de Naftogaz concernant les principes du “take or pay” », a affirmé la société, mercredi 31 mai. Selon ce mécanisme, un acheteur s’engage sur un volume qui doit être payé, même s’il n’est pas importé.

Le groupe ukrainien se félicite aussi d’avoir obtenu le droit de revendre le gaz acheté à Gazprom, une revente jugée illégale par Gazprom car elle n’est pas autorisée dans le contrat liant les deux compagnies, mais qui est la règle dans l’Union européenne. Enfin, la cour a jugé que Naftogaz avait « le droit d’ajuster le prix » selon le marché, affirme-t-elle.

33 milliards d’euros de compensation

Ces conditions draconiennes avaient été imposées aux Ukrainiens à l’issue de la violente crise de 2009. Sur ordre du président russe, Vladimir Poutine, Gazprom avait interrompu la fourniture de gaz à l’Ukraine, affectant l’approvisionnement de plusieurs pays européens. A cette époque, Kiev avait commandé 40 milliards de mètres cubes, alors que sa consommation s’était effondrée avec la crise, et les prix imposés par la Russie étaient exorbitants.

La décision de la Cour de Stockholm ne mentionne pas les montants à rembourser d’un côté ou de l’autre, renvoyés à une décision ultérieure. Mais il est clair que ce litige menaçait la survie même de Naftogaz, qui aurait été incapable de régler à Gazprom les colossaux arriérés de paiement et les pénalités liés au « take or pay ».

Le géant russe réclame quelque 33 milliards d’euros de compensation pour des livraisons qu’il assure non-payées. De son côté, Naftogaz demande 16 milliards, estimant que Gazprom a pratiqué à ses dépens des prix « hors-marché » entre 2011 et 2015.

L’objectif de Moscou : contourner ce voisin indocile

Grand consommateur de gaz pour son chauffage et son industrie (engrais…), l’Ukraine cherche par tous les moyens à s’approvisionner en Europe auprès de fournisseurs comme le français Engie ou l’allemand RWE. Depuis novembre 2015, elle a suspendu tout achat de gaz russe, qui représentaient 18 % de sa consommation cette année-là. Elle a relancé sa production, notamment en lançant l’exploitation des gaz de schiste. M. Kobolev estime qu’il faudrait que l’Ukraine produise 27 milliards de m3 (contre 20 milliards actuellement) pour devenir autosuffisante.

Mais elle est également en train de perdre son statut de pays de transit privilégié. Environ 40 % du gaz russe à destination de l’Europe transite encore par les gazoducs de la société Ukrtrangaz (ex-filiale de Naftogaz), ce qui aurait rapporté 1 milliard d’euros à Kiev en 2015. L’objectif de Moscou est clair : contourner ce voisin indocile. Au sud par le Turkish Stream, qui fera de la Turquie un « hub » d’approvisionnement de l’Europe si les relations russo-turques ne se détériorent pas à nouveau ; et surtout au nord, avec le doublement du Nord Stream, le gazoduc reliant directement la Russie au nord de l’Allemagne, son plus gros client.