Photo officielle parue sur le compte Twitter de la présidence de la République démocratique du Congo montrant l’arrivée en grande pompe, le 30 mai 2017, de Joseph Kabila à Kananga, capitale de la province du Kasaï-Central. | Twitter

Certains habitants de Kananga se souviendront peut-être du 30 mai 2017 : ce jour-là, l’électricité n’a pas été coupée. Un court miracle dans la capitale du Kasaï-Central, devenue l’épicentre de la guerre qui oppose de multiples groupes miliciens à l’armée congolaise. Les miracles ont parfois leurs raisons : pour la première fois depuis le début des violences, en septembre 2016, le président de la République démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila, est arrivé à Kananga « par besoin de consolidation de la paix et de réconfort de la population meurtrie », a déclaré le vice-premier ministre chargé de l’intérieur, Emmanuel Shadary.

Il y a un an à peine, Kananga regardait de loin les tractations politiques de la capitale, Kinshasa, tout comme les conflits à répétition qui meurtrissent l’est de la RDC. L’ancienne province du Kasaï, divisée en trois en 2015, n’avait pas connu de violence armée depuis les années 1960. Elle est aujourd’hui, elle aussi, confrontée à une situation sécuritaire si grave que de nombreux acteurs humanitaires ne parviennent pas à y accéder.

Des provinces acquises à l’opposition

Des dizaines de milliers de Kasaïens ont fui en Angola ainsi que dans les provinces voisines, suite aux massacres déclenchés après la mort d’un chef coutumier, Jean-Pierre Pandi, alias Kamwina Nsapu, tué dans lors d’un assaut policier en août 2016. D’autres, dont on ne connaît pas le nombre, survivent dans la brousse sans pouvoir s’en échapper. Leurs proches et leurs voisins, au bas mot plusieurs centaines selon les Nations unies, ont disparu au cours de ces exactions aussi atroces que complexes.

Un député local d’opposition, Delly Sesanga, a publié un bilan de 3 302 personnes tuées depuis janvier. Au fil des mois, l’ONU a documenté la découverte d’une quarantaine de charniers par ses experts envoyés sur le terrain pour enquêter sur ces violences. Deux d’entre eux ont été assassinés en mars dans des conditions restées floues. Aucune enquête ni sur les massacres, ni sur leur mort n’a été lancée pour le moment.

Longtemps retardé et annoncé à la dernière minute, le voyage du chef de l’Etat se fait sous haut contrôle, d’autant que les Kasaï sont réputés acquis à l’opposition. En janvier, l’avion de l’éphémère premier ministre Samy Badibanga, originaire du Kasaï, avait dû faire demi-tour devant des tirs dans la ville. Quant au gouverneur du Kasaï-Central, Alex Kande, il est resté plusieurs semaines retranché à Kinshasa.

« Dans la psychose des massacres »

Le voyage présidentiel se fait aussi en grande pompe. La population a été appelée à se rassembler sur la place de l’Indépendance, les motards à défiler, les drapeaux ont été hissés. Rien ne filtre du programme de la visite. « Le président est dans son rôle mais il arrive trop tard, juge Claudel André Lubaya, député d’opposition et ancien gouverneur du Kasaï. Les habitants de Kananga, qui vivent dans la psychose des massacres, attendent beaucoup de lui. »

Les symboles visant à affirmer que la situation était sous contrôle se sont multipliés. Joseph Kabila, vêtu de noir et portant un bouc poivre et sel qu’on ne lui avait jamais vu, a été accueilli à l’aéroport par Jacques Kabeya Ntumba, frère et successeur de Kamwina Nsapu. Si le chef défunt n’avait pas été reconnu par les autorités, le nouveau a rejoint le régime : en avril, il a appelé les « bandits » à cesser les violences, qui semblent désormais avoir quitté le strict champ des revendications coutumières. Certains « démobilisés », dont une partie a été rassemblée de manière ostentatoire à l’aéroport, vont même être intégrés à la police nationale congolaise.

Photo officielle parue sur le compte Twitter de la présidence de la République démocratique du Congo montrant la foule amassée derrière un cordon de militaires pour l’arrivée en grande pompe, le 30 mai 2017, de Joseph Kabila à Kananga, capitale de la province du Kasaï-Central. | Twitter

Les jours qui ont précédé ont été tout aussi symboliques pour Joseph Kabila, dont le dernier mandat s’est officiellement achevé le 19 décembre 2016. A Kinshasa, à grand renfort de médiatisation, il s’est inscrit parmi les premiers sur les listes électorales constituées en vue des élections promises courant 2017. A Kananga, d’autres chefs coutumiers, lors d’une rencontre à huis clos, l’ont prié de mettre fin à la guerre, mais aussi de lancer le processus « d’enrôlement des électeurs » dans les provinces du Kasaï, réputées acquises à l’opposition. Comme pour réclamer des élections malgré la guerre.