Un médecin a bien le droit de décider seul, à l’issue d’une procédure collégiale consultative, au titre du refus de l’obstination déraisonnable, l’arrêt de traitements indispensables au maintien en vie d’un patient, lorsqu’il est incapable d’exprimer sa volonté et qu’il n’a pas laissé de directives anticipées. Appelé à se prononcer pour la première fois sur cette disposition clé de la récente loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie, et alors que les affaires Vincent Lambert ou Marwa ont suscité bien des débats, le Conseil constitutionnel a jugé, dans une décision rendue vendredi 2 juin, qu’elle était conforme à la Constitution.

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par l’Union nationale de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés (UNAFTC) qui souhaitait « consacrer pour la première fois le droit à la vie », le Conseil s’est gardé d’ouvrir une telle brèche susceptible d’entraîner des contestations, notamment sur l’IVG, mais a toutefois apporté deux précisions au texte adopté par le Parlement en janvier 2016.

Toute décision d’arrêt ou de limitation des traitements de maintien en vie doit être « notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile ». Ce recours doit par ailleurs « pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée ». Deux réserves d’interprétation qui viennent rappeler que les décisions des médecins en la matière doivent bien pouvoir être soumises au contrôle du juge administratif.

« Concertation »

Si l’UNAFTC avait souhaité contester cette disposition de la loi Claeys-Leoneti, c’est parce qu’elle estimait qu’en l’absence de témoignage direct de la volonté du patient, une décision d’arrêt des traitements ne pouvait être « strictement médicale ». « Au moment de l’affaire Vincent Lambert, nous avons reçu des appels de familles terrifiées à l’idée qu’un médecin puisse imposer un arrêt de l’alimentation à leur proche dans un état végétatif ou pauci-relationnel », raconte Philippe Petit, l’un des représentants de l’association et lui-même père d’un jeune homme de 29 ans en état de conscience minimale depuis quinze ans.

Le décret publié par le gouvernement le 3 août 2016, contesté par l’UNAFTC, prévoit une « concertation » avec l’équipe soignante et « l’avis motivé » d’un médecin extérieur « consultant ». La personne de confiance, « ou, à défaut, la famille ou l’un des proches » peut rapporter la volonté du patient mais n’est pas associée à la décision afin, notamment, de ne pas faire peser sur elle le poids d’une telle décision.

« La consultation des membres de la famille ne suffit pas : leur adhésion doit être recherchée », avait plaidé François Molinié, l’avocat de l’association, lors de l’audience devant les juges constitutionnels le 23 mai, estimant qu’en cas de désaccord, « le doute devrait profiter au droit fondamental à la vie ». Pour l’UNAFTC, le législateur aurait dû inscrire des « garde-fous » dans la loi, comme la nomination d’un médiateur en cas d’absence de consensus.

Ces dernières années, deux situations de désaccord entre médecins et familles nécessitant un recours à la justice administrative ont été fortement médiatisées. Celle de Vincent Lambert, un jeune homme tétraplégique plongé dans un état végétatif depuis 2008 sur le sort duquel sa famille se déchire depuis quatre ans, le Conseil d’Etat puis la Cour européenne des droits de l’homme ayant successivement validé l’arrêt de ses traitements, sans que celui-ci ne soit pour autant ensuite mis en œuvre.

Pour Marwa, une petite fille d’un an et demi lourdement handicapée, le Conseil d’Etat, saisi en appel, avait ordonné le 8 mars la poursuite des traitements, comme le réclamaient ses parents, mais contre l’avis des médecins qui jugeaient qu’il y avait une situation d’obstination déraisonnable.

Au-delà de ces deux cas, les situations de désaccord semblent rares, les médecins passant rarement outre un refus de la famille. « Des affaires Lambert, il y en une tous les dix ans, reconnaît Philippe Petit. Mais depuis cette affaire assure-t-il, des familles nous disent avoir été mises sous pression. Ces conflits sont en émergence. »