Oeuvre du Camerounais Jean-David Nkot. | Galerie Carole Kvasnevski

Organisation d’un pavillon des lettres d’Afrique au Salon du livre de Paris en mars, des galeries africaines invitées à participer à l’exposition « Art Paris Art Fair » au Grand-Palais, des expositions mettant en avant la création du continent à La Villette, à la Fondation Louis-Vuitton… et même, dans le temple du shopping, les Galeries Lafayette, des focus Afrique annoncés aux festivals d’Avignon, de Marseille… Il n’en fallait guère plus pour que les médias français saluent un « printemps culturel africain ».

Un enthousiasme vite tempéré par le commissaire de l’exposition « Afriques Capitales ». Simon Njami, en effet, ne voit pas dans cette accumulation d’événements « un hommage à l’Afrique » – ce qui pourrait être réconfortant de croire lorsque 11 millions de personnes votent pour un parti d’extrême droite –, mais davantage une « autocélébration de ceux qui ont le sentiment d’avoir découvert quelque chose ». Et d’ajouter que « tout ceci est mêlé d’un soupçon de paternalisme ». Exagéré ?

Une plate-forme expérimentale

Une chose est sûre, ces manifestations sont l’œuvre d’initiatives privées et ne sont pas l’expression d’une volonté des pouvoirs publics français qui, parfois, sont plutôt tentés d’interdire aux femmes noires de se réunir entre elles, comme l’a démontré la maire de Paris Anne Hidalgo en s’opposant à la tenue du festival afroféministe Nyansapo, au prétexte que certains ateliers étaient « non mixtes ». Ou alors qui interdisent à des artistes africains de venir s’exprimer sur le territoire français en leur refusant un visa, quand bien même seraient-ils invités officiellement par une institution publique sous tutelle du ministère de la culture et de la communication.

C’est ce qui est arrivé le 26 mai à Jean-David Nkot, jeune plasticien camerounais prometteur né en 1989, alors qu’il avait été sélectionné pour participer au tout nouveau post-master que l’Ecole nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy (Ensapc) a lancé le 1er juin lors d’une conférence au Théâtre de la commune d’Aubervilliers réunissant chercheurs, écrivains et artistes à l’instar de Françoise Vergès, Manuel Domergue, Michel Augier, Zanele Muholi ou encore Abdellah Taïa.

Destiné à de jeunes artistes ou théoriciens, ce programme est une plate-forme expérimentale de recherche artistique unique, organisée en partenariat avec le centre Doual’art ainsi que l’Institut des beaux-arts de l’université de Douala, et avec le soutien de l’Institut français du Cameroun. Cette formation, devant déboucher sur une exposition, doit se dérouler en trois temps, à Cergy et à Douala. Outre Jean-David Nkot, dont le dessin ultrasensible dénonce les violences faites aux femmes et aux enfants, victimes innocentes des conflits armés mais aussi de la brutalité au sein de la cellule familiale, cinq autres artistes ont été sélectionnés sur dossier pour participer à ce post-master.

Un problème récurrent

Le thème choisi pour cette première édition : les frontières, à travers les rapports « à l’espace, au temps, aux images, aux institutions, à la politique, aux territoires, au public, à nous-mêmes » qu’elles produisent. « Le projet Moving Frontiers – faire et défaire, précise l’Ensapc, est ainsi de produire des imaginaires qui éprouvent pratiquement et théoriquement les frontières que nous rencontrons quotidiennement et avec lesquelles nous devons tous composer. »

Ce qu’aura effectivement éprouvé de manière fort peu agréable Jean-David Nkot qui, pour la troisième fois, se voit refuser un visa pour la France. La raison invoquée par les autorités consulaires françaises de Douala ? Sa « volonté de quitter le territoire des Etats membres [de l’espace Schengen] avant l’expiration du visa n’a pas pu être établie ».

L’invitation officielle de l’Ensapc, qui prenait en charge le déplacement et l’hébergement de Jean-David Nkot, n’aura pas suffi à convaincre le consulat français. « C’est la deuxième fois que l’on m’empêche de faire mon travail, regrette Jean-David Nkot. En 2016, Barthélémy Toguo m’avait invité à le rejoindre pour participer à l’YIA Art Fair à Paris. Même motif de refus de visa : la France pense que je veux rester là-bas, sans doute parce que ma mère y est installée. Mais, moi, j’ai fait le choix de vivre ici, au Cameroun. Je vais faire quoi là-bas ? Vendre des toiles et payer des taxes dessus ? Ça n’a pas de sens, c’est bien plus intéressant pour moi de vendre là-bas, oui, mais de rester à Douala. Ici, je vis bien, je ne meurs pas de faim, je travaille. L’Europe, c’est le cimetière des artistes africains. J’ai besoin de mon environnement pour créer, je ne veux pas perdre mon âme à partir. »

Un problème récurrent auxquels sont confrontés les artistes africains et que dénoncent aussi bien des plasticiens, à l’instar de Barthélémy Toguo, que Lina Lazaar, qui a fait de la question migratoire le thème du pavillon de la Tunisie à la Biennale de Venise 2017.