Jean-Baptiste Jacquin, journaliste chargé du suivi de la justice au Monde a répondu aux questions des internautes après la présentation des contours de la réforme « pour la confiance dans notre vie démocratique ».

Hugo : Le projet de loi constitutionnelle reprendra-t-il la réforme du Conseil supérieur de la magistrature envisagée puis abandonnée par M. Hollande ?

Jean-Baptiste Jacquin : Une réforme constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature faisait partie du programme d’Emmanuel Macron pendant la campagne pour l’élection présidentielle. Elle fera partie du train de mesures sur les institutions qui sera débattu probablement après l’été au Parlement.

Seul le volet constitutionnel de la réforme pour la « confiance dans la vie démocratique » sera présenté en conseil des ministres le 14 juin : suppression de la Cour de justice de la République, suppression de la présence des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel, interdiction du cumul de trois mandats identiques consécutifs.

Biscotte : Quid du casier judiciaire vierge dans le projet de loi « pour la confiance dans notre vie démocratique » ? N’était-ce pas évoqué par En marche ! pour les candidats à des fonctions électives ? Ou s’agissait-il d’une condition propre à l’investiture par le mouvement ?

Cette disposition posait des problèmes constitutionnels. En effet, exiger un casier judiciaire vierge revient à permettre des condamnations à vie. Le principe du droit pénal, et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est que les peines soient proportionnées. Autrement dit, si une personne a commis un délit il y a quinze ou vingt ans, a été condamnée, a effectué sa peine et donc « payé sa dette », lui ramener cette inscription au casier judiciaire pour lui infliger une nouvelle sanction (ne pas pouvoir se présenter à une élection) est contraire aux principes du droit.

Le gouvernement a donc préféré introduire dans son projet une peine plancher pouvant aller jusqu’à dix ans d’inéligibilité pour les délits d’atteinte à la probité. Ainsi, une personne qui s’amuserait à frauder le fisc, à commettre des faits de corruption, de prise illégale d’intérêt ou de faux en écriture publique, risquerait d’être bannie pendant dix années de toute candidature à une élection. « Ce n’est pas rien », a justifié François Bayrou, le ministre de la justice, pendant sa conférence de presse jeudi 1er juin.

Jlm : Y a-t-il dans le projet de loi des dispositions pour interdire, ou au moins fortement contrôler, l’activité des lobbies à l’Assemblée nationale et au Sénat ?

C’est un des points les plus délicats du projet, car les choses sont rarement blanches ou noires. La loi Sapin 2 votée en 2016 pour répondre notamment à cette question des lobbies n’est pas retouchée ni renforcée. Mais, pour ménager un espace politique à ce très ambitieux projet de réforme, le gouvernement confie aux assemblées le soin de définir, dans la transparence, les règles en matière de conflit d’intérêts.

L’Assemblée nationale et le Sénat devront constituer une commission de déontologie, dont le poids sera nécessairement supérieur à leur déontologue actuellement bien isolé et marginalisé. François Bayrou souhaite s’inspirer du système des déports, actuellement en vigueur au Parlement européen, empêchant les élus à participer aux débats sur les textes concernant leurs activités.

FM : La réduction du nombre de parlementaires qui était au programme présidentiel, est-elle d’actualité également ?

Cela devrait effectivement venir dès l’automne en discussion au Parlement, mais c’est séparé du débat sur la moralisation de l’action publique.

Gregory : J’ai cru lire que la limitation des trois mandats ne concernerait pas les petites communes. Mais a-t-il été précisé le critère retenu de « petite commune  » ?

Il est effectivement prévu que l’interdiction de cumuler plus de trois mandats identiques consécutifs ne s’applique pas aux petites communes. Le garde des sceaux a précisé lors de sa conférence de presse que le seuil définissant cette exemption serait fixé par les députés et sénateurs lors de la discussion du projet de loi. C’est clairement un geste politique pour laisser des marges de manœuvre aux assemblées.

Lumbreiser : Alors, référendum ou Congrès ? Laquelle de ces deux méthodes a le plus de chance d’être utilisée pour faire passer ce projet ?

A priori, c’est la voix du Congrès réuni à Versailles qui est privilégiée. Le gouvernement compte sur la dynamique électorale qu’il espère aux législatives pour vaincre d’éventuelles réticences du Sénat. Il est vrai que dans le contexte actuel, il sera politiquement délicat pour le Sénat, majoritairement à droite, de s’opposer à ces réformes. Le recours au référendum sera la voix utilisée en cas d’incapacité à obtenir la majorité des deux tiers des parlementaires requise pour voter à Versailles une réforme constitutionnelle.

Curieux : Pouvez-vous expliquer pourquoi il y aurait plus d’opposition du côté du Sénat que de l’Assemblée ? Les sénateurs sont-ils plus réfractaires à la moralisation ?

Il n’est pas impossible que La République en marche obtienne la majorité absolue à l’Assemblée nationale, ce qui facilite les choses. Mais un autre phénomène va jouer. Avec ces élections législatives qui vont amener un grand nombre de députés novices, y compris dans les partis traditionnels, les habitudes avec lesquelles cette réforme est censée rompre ne sont pas encore prises. Par exemple, en ce qui concerne la réserve parlementaire, il sera plus facile à un député fraîchement élu de la supprimer que pour un sénateur qui depuis quelques années a l’habitude de soutenir telle ou telle association ou projet local.