« Qui veut acheter mes carottes ? » Sur le marché Grandclément de Villeurbanne, Najat Vallaud-Belkacem, candidate aux législatives sous l’étiquette PS dans la 6circonscription du Rhône, est passée côté commerçant sur un stand de primeurs. Mais en ce mardi 30 mai, personne ne veut des légumes de l’ancienne ministre. C’est finalement Pascale Crozon, la députée PS sortante, qui joue la cliente et repart avec des tomates.

L’ancienne patronne de l’éducation nationale a également du mal à vendre son programme. A ses côtés pourtant, tous les notables socialistes villeurbannais se sont mobilisés. L’enjeu est d’importance. La circonscription, un bastion du PS, n’a certes basculé qu’une fois en trente ans au profit de la droite (en 1993), mais elle est à nouveau menacée.

Elle semblait pourtant promise à Najat Vallaud-Belkacem qui, depuis trois ans, avait minutieusement préparé son arrivée en achetant un appartement dans la commune et en intégrant la section socialiste locale.

C’était bien avant la vague Macron. A Villeurbanne, le chef de l’Etat est arrivé en tête avec 27,73 % des voix lors du premier tour de la présidentielle.

Avant, aussi, que La République en marche (LRM) ne désigne, pour l’affronter, une figure locale. Bruno Bonnell, multi-entrepreneur, figure du jeu vidéo, qui fut le fondateur de la société Infogrames. L’homme d’affaires investit aujourd’hui dans la robotique – une mission gouvernementale sur l’évolution de ce secteur lui avait été confiée sous le quinquennat de François Hollande.

Bruno Bonnell, candidat de La République en marche dans la 6e circonscription du Rhône en campagne dans le quartier de Grandclément à Villeurbanne, le 30 mai. | BRUNO AMSELLEM POUR LE MONDE

A bientôt 60 ans, ce grand gouailleur monté sur ressorts est comme un chien dans un jeu de quilles. Sa mission, selon Jean-Paul Bret, le maire PS de Villeurbanne ? « Dégommer » Najat Vallaud-Belkacem et « enfoncer le coin » de la rivalité historique avec Lyon ; c’est la « patte » du maire de Lyon, Gérard Collomb, estime l’édile. Désormais ministre de l’intérieur, M. Collomb qui « n’aime pas qu’on lui fasse de l’ombre » n’aurait pas goûté l’ascension politique de son ex-protégée.

Parachutage

M. Bonnell, un proche de M. Collomb et un ancien référent d’Emmanuel Macron dans le Rhône, se défend de tout parachutage en forme de règlement de compte. Mais il assume son arrivée soudaine dans le jeu politique.

Najat Vallaud-Belkacem l’aurait provoquée elle-même, argue-t-il, en annonçant qu’elle se situera dans « l’opposition » au chef de l’Etat. Malgré sa « Macron-compatibilité », l’ancienne ministre revendique sa liberté face à ce qu’elle appelle la « soumission » exigée par LRM de la part de ses futurs députés. Elle se réserve surtout une place pour « reconstruire le PS et une offre à gauche entre Macron et Mélenchon ».

« Il ne fallait pas qu’une voix manque à la majorité. C’est moi qui ai appelé Collomb pour lui dire que je me présentais », prétend M. Bonnell. D’aucuns lui prêtaient des velléités de candidature dans la capitale des Gaules ; il les balaie, même s’il ne votera pas pour lui-même, le 11 juin : il est domicilié dans un arrondissement de Lyon. Mais il s’estime « légitime » à Villeurbanne où il a grandi et implanté une partie de son activité.

Pour le prouver, il embarque à bord de son « nouveau jouet », un utilitaire de location floqué d’une photo de lui et d’Emmanuel Macron. Ici son ancienne école, là le siège de l’une de ses entreprises. « Du storytelling » pour le camp Vallaud-Belkacem. « Du foutage de gueule permanent », enfonce la candidate qui interroge : « Pourquoi n’ont-ils pas investi un militant de Villeurbanne ? »

Dans une campagne organisée au débotté l’entrepreneur découvre les règles électorales. « On a déjà eu deux recours parce qu’on a collé des affiches à des endroits non-autorisés ! », s’amuse-t-il. Il n’est pas non plus au point sur tous les sujets. Pourquoi la circonscription-ville compte-t-elle 15 % de chômeurs ? « J’en sais rien, je n’ai pas encore étudié le problème », avoue-t-il avant de monter dans un train pour Paris où il va préparer la passation des responsabilités dans l’une de ses entreprises en cas d’élection.

Concurrencée à gauche

Sur le marché de Grandclément, Najat Vallaud-Belkacem s’active, maîtrisant ses classiques de la conquête électorale. Elle cherche toutes les mains qu’elle peut serrer, attrape les téléphones pour cadrer les selfies, entoure la date des élections sur son tract.

La participation sera l’une des clés pour contrer la « faiblesse du PS », qu’elle place en tête des facteurs qui pourraient lui coûter la victoire. En 2012, seuls 48 % des électeurs avaient voté lors des législatives.

Najat Vallaud-Belkacem, candidate socialiste dans la 6e circonscription du Rhône, en campagne sur le marché du quartier de Grandclément à Villeurbanne, le 30 mai. | BRUNO AMSELLEM POUR LE MONDE

Au jeu de la participation, elle se sait concurrencée sur sa gauche. Jean-Luc Mélenchon est arrivé en deuxième position derrière Emmanuel Macron ici lors du premier tour de la présidentielle. Pour les législatives, Laurent Legendre, candidat de La France insoumise, pense qu’il peut « passer devant le PS ». Un sondage réalisé sur un petit échantillon le donnait au coude-à-coude avec l’ancienne ministre, largement distancée par M. Bonnell.

Au PS, on ne croit pas à l’élimination dès le premier tour, mais on anticipe un final difficile face au candidat LRM. Najat Vallaud-Belkacem est un épouvantail pour l’électorat de droite et d’extrême droite depuis le début du quinquennat, qui peut mobiliser contre elle. Et elle voit des chausse-trappes s’aligner sur sa route. Mercredi, elle annonçait le soutien de Tony Parker à sa campagne ; une nouvelle réfutée quelques heures plus tard par le basketteur.