NEIL KRUG

Saint-Brieuc (Côres-d’Armor), envoyé spécial

Dès ses débuts en 1983, le festival Art Rock à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) a voulu montrer les convergences et croisements de « l’énergie rock avec celle qui peut être transmise par d’autres disciplines artistiques, la danse, le théâtre, l’image… », résume le directeur de la manifestation, Jean-Michel Boinet. Novateur et original dans son propos, en faisant venir sur un festival sous étiquette rock des troupes d’arts de la rue ou des expositions, Art Rock a connu plusieurs phases à partir de son socle pluridisciplinaire.

Les années 1980 auront été celles d’une « cohabitation forte avec l’image ». Il y eut dans les années 2000 une période de cartes blanches données notamment au trompettiste de jazz Erik Truffaz, au label de chanson Tôt ou tard, au réalisateur et scénariste Olivier Assayas ou à la marque de vêtements Agnès B... Et, depuis quelques années, Art Rock s’est mis à travailler autour de « l’idée d’un thème ». Les robots, la mode, la peinture… Pour sa 34e édition, qui a été organisée du 2 au 4 juin, ce ne sont rien moins que les quatre éléments qui ont été convoqués. La terre, l’eau, l’air et le feu. Présents à des degrés divers dans la programmation.

A cet égard, le circuit proposé par Art Rock, samedi 3 juin, aura constitué une jolie réussite. Il aura débuté, dans l’après-midi, par un passage au pavillon des expositions temporaires du Musée de Saint-Brieuc, où est présentée « Fantastic Elements » – au-delà des trois jours du festival, l’exposition est visible jusqu’au 11 juin. Dans la cour d’entrée, trois arches de parpaings de Vincent Gavinet, se déploient, comme arrêtées entre le surgissement du sol et le déploiement vers les airs.

Des mots liquides

Dans la salle du bas, l’eau domine. Avec Three Wowen, film de Bill Viola, qui montre trois femmes s’avancer vers l’objectif/le spectateur, traverser un rideau liquide, passer du noir et blanc à la couleur, repartir ensuite vers le néant. Wet, de Don Ritter, est une vague bleutée, projection mouvante, du calme au remous, qui occupe tout un pan de mur. La série de photographies en noir et blanc d’icebergs figés de Lynn Davis y répond, tandis qu’avec Bit.fall, Julius Popp présente un système de jets verticaux dessinant des mots liquides, qui se brisent à peine lus.

A l’étage, concu par Nil Völker, se trouve, au sol, un assemblage de sacs plastique blancs qui se gonflent et se dégonflent. L’ensemble apporte comme un apaisement, un regard parallèle aux remous des concerts, du centre-ville historique où est situé, tout proche, le périmètre des lieux du festival.

A 16h30, c’est dans le petit théâtre à l’italienne qui est l’un des espaces de La Passerelle, scène nationale, qu’était programmé le spectacle Sympathetic Magic, rencontre de la danseuse Héla Fattoumi et du danseur Eric Lamoureux avec les chansons pop du guitariste et chanteur Peter Von Poehl – il sera au Café de la danse, à Paris, le 7 juin. Les gestes, déplacements, soulignent des moments musicaux tout en restant autonomes. La vidéo est utilisée avec des projections sur des cartons de feuilles aux teintes automnales, des motifs aqueux, des reflets viennent comme des flammèches, de petites ampoules dessinent un circuit autour de Von Poehl et ses deux musiciens (basse et batterie), la danse se fait tourbillon. Si le spectacle existe en tant que tel, déjà présenté depuis début 2017, il s’insère idéalement à ce contexte des quatre éléments.

Un groove électro et funk

Dans la programmation des concerts sur les deux scènes en plein air, qui constituent la majeure partie du festival, l’équipe d’Art Rock n’est pas allée chercher un groupe de hard rock pour représenter la terre ou de rock planant pour les airs, ni n’a donné un cahier des charges aux artistes. Reste qu’avec certains, il était possible de ressentir ou imaginer des correspondances. Omara « Bombino » Moctar, chanteur et guitariste touareg né au Niger, et ses musiciens, viennent de jouer en tournée en Afrique du Sud. Il y a du blues, du rock, du reggae, des éléments funk, dans leur musique. Humainement et musicalement, elle transmet une évidente chaleur. Quand les tourneries pop, dans une imprégnation un rien disco-variété, de la chanteuse et pianiste Cléa Vincent, évoquent une légèreté aérienne. Et il y a comme un feu d’artifice dans la nuit avec Deluxe, ses costumes de rouge et d’or, ses jeux de lumières de fonds de scène, son groove électro et funk qui emporte le public.

Avant l’embrasement de Deluxe, c’est très concrètement au plus proche du feu que le festivalier était convié dans une déambulation au Jardin des Promenades avec la Compagnie Carabosse. Dans les allées, des pots de terre d’où s’échappent des flammes, de points en points des braseros, et à divers endroits des structures d’aciers, forment d’impressionnantes boules de feux, des corolles de fleurs, des mouvements de tournoiements. La pluie, qui s’est invitée au début de l’allumage, provoque des grésillements qui se marient avec les sons d’un violoncelle, d’une guitare. Dans le ciel nocturne, trois boules s’élèvent, retenues par le filin d’une grue dont on voit à peine l’extrémité de la flèche. Dans la foule, on entend des oh, des ah d’émerveillement.

Saccades et glissades

Emerveillement, fascination, tout autant, plus tôt, pour celles et ceux qui auront pu voir, dans la grande salle de La Passerelle, Pixel de la Compagnie Käfig du chorégraphe Mourad Merzouki, créé en 2014 et depuis en tournée à succès. Les rotations, acrobaties, équilibres, saccades, glissades etc. de la danse hip hop, par onze interprètes ont pour terrain de jeu un décor constitué de milliers de points ou de lignes lumineuses, dispositif visuel réalisé par Adrien Mondot et Claire Bardainne. Le vertical en fond de scène, et l’horizontal du plateau se rejoignent, les repères se perdent, les corps apparaissent et disparaissent. Ici, il faut passer de cercles en cercles, qui se referment ou s’ouvrent, là, sauter de monts en vallées, comme dans les parcours d’un jeu vidéo, ailleurs, pousser par un geste, une virevolte, le déchaînement d’un flot neigeux. Pour le regard, tout cela, tient de l’irréel, de la magie.

PIXEL | Création 2014 | Compagnie Käfig