« Ici, tout est différent », clame le slogan du Racing Club de Toulon (RCT), et ce n’est pas l’improbable saison des Varois quiva le faire mentir. Malgré un exercice en forme de montagnes russes, émaillé de trois changements de managers et du double de remaniements du staff technique, les Toulonnais vont défier l’ASM Clermont-Auvergne, dimanche 4 juin au Stade de France, pour un choc qui est un classique au niveau européen, mais une finale inédite pour le championnat national. Un match que les troupes de Mourad Boudjellal, dont ce sera la cinquième finale de Top 14 en six ans, savourent comme une cerise sur un gâteau longtemps indigeste.

« C’est la saison la plus dingue depuis que je suis à la tête du club », a reconnu, dans une interview à la chaîne Eurosport, le président varois, qui n’en revient toujours pas de se retrouver si près du Bouclier de Brennus, trois ans après l’avoir soulevé en compagnie du milieu d’ouverture Jonny Wilkinson à l’issue d’une ­finale gagnée contre Castres (18-10). « J’ai l’impression d’être Ali Baba et les Quarante Voleurs, avec mes joueurs. Il y a quelques mois, on nous disait dans une année de transition, qu’on ne pouvait pas être et avoir été… Et là, c’est “Sésame, ouvre-toi !” »

Comme ses ouailles, Mourad Boudjellal est passé par tous les états. Le 27 mai, il ne cachait pas sa joie après la victoire heureuse contre La Rochelle en demi-finale (18-15), hurlant le traditionnel pilou-pilou toulonnais à même la pelouse, au milieu de ses joueurs et face caméra. Huit mois plus tôt, le même homme se disait au bout du chemin, lassé, épuisé et prêt à vendre un club acheté en 2006, alors que le RCT végétait en ProD2.

« Bon bah je laisse pas béton »

L’impétueux s’était ravisé juste avant Noël, annonçant sa décision de garder la barre en se fendant d’un message « boudjellien » sur les réseaux sociaux : « Bon bah je laisse pas béton. » Les travaux de reconstruction étaient déjà bien entamés. Depuis le départ, à l’été 2016, de Bernard ­Laporte, élu en décembre à la tête de la Fédération française de rugby (FFR), la valse des entraîneurs a donné le tournis aux supporteurs d’un club en pleine crise de gouvernance.

Le site Internet officiel a encore aujourd’hui du mal à suivre les changements d’entraîneur et de staff

Le site Internet officiel a encore aujourd’hui du mal à suivre : le chapitre sur l’histoire du club se termine surun « Place maintenant à Diego Dominguez », l’organigramme garde sa confiance à Mike Ford, tandis que la page ­consacrée au staff de l’équipe professionnelle affiche la photo de Richard Cockerill en majesté.

Héritier annoncé de Bernard ­Laporte, l’Argentin Diego Dominguez n’aura tenu que quatre mois, laissant en octobre le poste de ­manager général à son adjoint, l’Anglais Mike Ford. Qui fera à peine mieux : même pas six mois, et le voilà remplacé, fin mars, par… son adjoint, son compatriote ­Richard Cockerill. Ce dernier a accepté l’intérim en sachant déjà que son bras droit ne lui piquerait pas la place, puisque l’ancien capitaine du XV de France Fabien ­Galthié avait été annoncé sur la rade dès le mois de juillet 2016.

Une précarité dont l’Anglais, ­libéré de toute pression, a fait son miel, redonnant même le sens de l’humour à son président, qui a interrompu l’intervention de son manager devant la presse après la victoire en demi-finale pour lui annoncer, en rigolant : « Après le prochain match, t’es viré ! »

Début avril, lorsque l’ancien ­talonneur reprend les rênes, le RCT a les joues rougies après une cinglante gifle reçue en quart de finale de la Coupe d’Europe, un 29-9 infligé par… Clermont. En Top 14, les Toulonnais naviguent comme un bateau ivre, et même davantage quand le vestiaire est secoué par l’arrestation de l’Australien James O’Connor pour ­consommation de cocaïne, le 24 avril à Paris, en compagnie du Néo-Zélandais Ali Williams, un ancien cadre du club varois.

Condamné à une amende par la justice et à des activités d’intérêt général par la Ligue nationale de rugby, James O’Connor est vite de retour en grâce dans son club. Ironie du sport, l’Australien aux cheveux peroxydés sera même décisif malgré lui lors de la demi-finale, subissant le placage illicite du ­Rochelais Pierre Aguillon, dont l’expulsion changera la face de la rencontre.

« Une bonne équipe doit être bonne partout, en défense et en attaque, une bonne mêlée, un bon alignement, un bon jeu au pied… », insiste l’ancien entraîneur des Tigres de Leicester

Le 9 mai, Toulon encaisse encore : en litige avec la société Puma, son ancien équipementier, le club est jugé coupable de rupture fautive de contrat, et condamné à régler une amende de 1,7 million d’euros. M. Boudjellal grimace, mais sur le terrain, le choc de simplification décrété par Richard Cockerill fait son effet. Les victoires s’enchaînent, les phases finales se profilent, le RCT en pleine résilience redevient une machine à gagner en suivant tête basse son coach au combat.

« Si on parle de philosophie, on risque de s’embrouiller un peu l’esprit. Une bonne équipe doit être bonne partout, en défense et en attaque, une bonne mêlée, un bon alignement, un bon jeu au pied… Alors revenons aux basiques : jouer simple et aimer jouer ensemble », insiste l’ancien entraîneur des Tigres de Leicester, qui invite gentiment ceux qui voudraient voir du spectacle à se ­rendre « à l’opéra ».

Autogestion

Fort d’un bilan plutôt flatteur, avec six succès en autant de rencontres depuis sa prise de fonctions, Richard Cockerill, qui ira ­entraîner Edimbourg la saison prochaine, s’amuse d’être soudainement devenu le meilleur entraîneur du monde. Il le doit aussi à la responsabilisation des joueurs, qu’il a encouragée pour s’appuyer sur l’expérience d’un groupe formé d’internationaux confirmés. Une autogestion incarnée par le maître à jouer australien Matt Giteau, propulsé, quasiment contre son gré, au rang d’entraîneur-joueur chargé des lignes arrière.

« Les Toulonnais ont été éliminés en Coupe d’Europe, mais ils sont en finale du Top 14. C’est la preuve que l’expérience compte beaucoup lors des matchs décisifs », constate l’entraîneur clermontois Franck Azéma

« Les Toulonnais ont vécu une ­saison compliquée : ça a tangué au cœur de l’hiver, ils ont été ­éliminés en Coupe d’Europe, mais ils sont en finale du Top 14. C’est la preuve que l’expérience compte beaucoup lors des matchs décisifs », constate l’entraîneur clermontois Franck Azéma, qui a relevé que ses joueurs comptabilisaient deux fois moins de ­sélections internationales que ceux du RCT. « C’est tout bénéfice pour eux. Maintenant, ils se disent pourquoi pas… Ils vont jouer à fond cet atout de ne pas avoir de pression. »

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Ce que confirme Mourad Boudjellal en faisant mine de tendre l’autre joue : « [Les Clermontois] produisent du beau jeu, ils sont en confiance, ils ont une génération bénie. Clermont est favori et cette fois, normalement, c’est pour eux. Nous, on est déjà contents d’être en finale. C’était inespéré », martèle le président varois dans un entretien à Nice-Matin.

« On a fait une très belle saison, donc je n’ai pas de problème à ­assumer le statut de favori, même si je suis lucide sur la qualité des joueurs en face, répond tranquillement Franck Azéma. Mais ­j’espère que Mourad Boudjellal sera entendu. »