Après l’attentat de Londres du 3 juin, Aamaq, l’agence de propagande de l’EI, a indiqué, dans un communiqué, qu’il a été commis par « un détachement de l’Etat islamique ». | DANIEL SORABJI / AFP

C’est encore un « urgent » de l’agence Aamaq, diffusé sur les réseaux sociaux dans la soirée du dimanche 4 juin, qui a signé la revendication présumée de l’organisation Etat islamique (EI) après l’attentat de Londres de samedi 3 juin. Et, là encore, « l’agence » a dit s’appuyer sur ses propres sources pour attribuer l’attaque à l’EI.

Les agences de presse et les médias – dont Le Monde – reprenaient alors cette revendication, tant Aamaq incarne aujourd’hui la parole multilingue et l’image de l’EI (en jouant le rôle de prérevendication de ses attaques), même si elle a été créée et présentée, à l’origine, comme un organe prétendument « indépendant » : depuis 2014, cette « agence attentats » sert en effet de canal de communication à l’EI.

Certaines revendications récentes de cet organe après des attaques commises sur le sol européen comme aux Philippines – où les liens entre leurs auteurs et le groupe djihadiste sont loin d’être évidents – interrogent pourtant sur leur nature potentiellement opportuniste.

Pour autant, le débat sur l’authenticité des informations d’Aamaq est un faux problème : cette « agence » pose avant tout la question de la stratégie propagandiste de l’organisation djihadiste et sa volonté d’imposer son tempo. Entre attaques centralisées, décentralisées, inspirées ou reprises à son compte, élaborées ou rudimentaires, l’EI maintient une pression constante. Avec son « buzz » permanent, l’agence Aamaq est le bras armé médiatique de cette stratégie. Et ses « journalistes », comme ses infrastructures, sont de plus en plus la cible de la coalition internationale en Syrie ou en Irak.

  • A quoi sert Aamaq ?

L’objectif initial d’Aamaq, en faisant mine de se distancier du groupe djihadiste, était de créer un canal de propagande fluide, réactif, et d’échapper aux mesures prises par les réseaux sociaux pour endiguer la propagation de la propagande de l’EI.

A l’automne 2014, le « califat » dirigé par l’Irakien Abou Bakr Al-Baghdadi, qui est alors au faîte de sa puissance, a provoqué l’intervention militaire d’une coalition menée par les Etats-Unis. A Kobané, une enclave kurde syrienne assiégée et attaquée par l’EI, une « Aamaq News Agency » apparaît en couvrant parfois quotidiennement la bataille, côté djihadiste.

Mais Aamaq n’est pas une agence de presse, même si elle fait tout pour s’en donner les apparences. A commencer par une pseudo-neutralité et un ton factuel éloigné des outrances de sa maison mère. Le tout est soigné par un professionnalisme apparent qui a longtemps fait corps avec l’une des images que voulait se donner l’EI : celle d’une organisation qui ne revendique que les opérations qu’elle commet ou inspire, Aamaq se chargeant de distiller des informations sur les auteurs d’attentats afin d’établir le lien, à commencer par leurs serments d’allégeance au groupe. Des « preuves » ne sont plus aussi automatiques que par le passé, quand les éléments et les scoops annoncés ne sont pas tout simplement douteux.

Après l’attaque commise le 20 avril 2017 sur les Champs-Elysées par le Français Karim Cheurfi, l’agence de l’EI semble ainsi avoir été abusée par des rumeurs qui circulaient sur Internet en désignant un combattant belge. A moins qu’elle en ait profité. Au Royaume-Uni, il est encore trop tôt pour établir – ou pas – un lien entre les responsables des deux dernières attaques (Londres et Manchester) et l’EI.

  • La naissance d’Aamaq liée à la révolution syrienne

Annoncée sur Facebook le 31 mai par son petit frère – dont le compte vient d’être suspendu –, la mort de Rayan Machaal, le fondateur de l’agence djihadiste, dans un raid de la coalition internationale à Al-Mayadin, dans l’est de la Syrie, a suscité des réactions ambivalentes et même des hommages. Comme ceux rendus par d’anciens camarades de lycée, de manifestations ou de combats à Alep… Jusqu’à un journaliste contributeur du quotidien panarabe Al-Quds Al-Arabi, publié à Londres, qui l’a qualifié de l’« un des plus importants activistes de la révolution. Le fondateur, avec ses compagnons, de la seule agence d’informations digne de confiance en Syrie… »

Ces réactions – sans aucune prise de distance à l’égard de l’EI – rappellent que la naissance d’Aamaq est aussi le fruit d’une révolution dans l’impasse sur laquelle ont très bien su se greffer les groupes extrémistes, de plus en plus nombreux au fur et à mesure que la révolte s’enlisait, et leur capacité à attirer des militants désabusés et radicalisés.

Avant d’œuvrer pour l’Etat islamique en Irak et au Levant (la précédente appellation du mouvement) à partir de la fin 2013, Rayan Machaal, de son vrai nom Mohamed Bara Kadek, 31 ans, a été l’un des fondateurs d’Alep News Network, l’un des principaux réseaux d’informations des deux premières années du soulèvement.

Animé par des journalistes citoyens et des activistes, c’est alors l’une des rares sources d’informations de la Syrie rebelle. Fondé en 2012 pour filer les manifestations alors pacifiques contre le régime, Alep News Network comptait en 2013 plus de 40 reporters sur le terrain, en plus d’une centaine de correspondants dans le pays ; 10 bureaux et une couverture assurée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C’est sur ce savoir-faire que va s’appuyer Aamaq lors de sa création après le basculement de Machaal du côté de l’EI.

« Le parcours de ce jeune homme résume une période critique de la révolution syrienne, celle des grands réalignements. Avec le bombardement chimique de la Ghouta [en août 2013] et le recul des Etats-Unis face aux lignes rouges qu’ils avaient eux-mêmes dictées », estime le journaliste Ahmed El-Okdeh, qui attribue la radicalisation de plusieurs activistes cette année-là à la lassitude face à la répression et aux bombardements ainsi qu’à l’impuissance occidentale.

En juillet 2014, une coalition de groupes non-djihadistes expulse l’EI de la ville, contraignant Rayan Machaal et ses compagnons à s’installer à Al-Bab, une ville occupée par l’EI jusqu’à début 2017, puis à Rakka, la « capitale » des djihadistes dans le nord-est. En février 2017, il s’établit à Al-Mayadin, dans la province de Deir ez-Zor (sud-est).

La mort du fondateur d’Aamaq n’a, à ce stade, été confirmée ni par l’EI ni par la coalition internationale, qui s’est bornée à déclarer fin mai qu’elle avait effectué « une série de raids aériens ciblant l’infrastructure médias de l’EI et ses installations de propagande pour affaiblir la capacité du groupe à inspirer des attaques à l’extérieur ».