Donald Trump s’est imposé comme le premier président-Twitter des Etats-Unis. Les millions de « followers » que son compte personnel a agglomérés avant et surtout après son élection lui permettent, selon ses dires, de contourner les médias traditionnels qu’il juge, non sans raison, globalement critiques de son action, afin de défendre directement son point de vue.

Mais la micromessagerie qu’affectionne le président lui donne aussi l’occasion de laisser libre cours à son agressivité, au point de se fragiliser lui-même. La preuve en est apportée depuis l’attentat de Londres survenu le 3 juin. M. Trump a trouvé là l’occasion de régler de vieux comptes avec le maire de la capitale britannique, Sadiq Khan. En décembre 2015, ce dernier avait vivement critiqué celui qui n’était encore qu’un candidat à l’investiture républicain pour son projet d’interdire l’entrée aux Etats-Unis aux étrangers de confession musulmane, après l’attentat de San Bernardino (Californie).

Dimanche, M. Trump s’est appuyé sur une déclaration tronquée du maire pour laisser entendre que ce dernier voulait minimiser le drame. La stupeur créée par cette critique et la restitution de la citation entière de M. Khan n’a pas dissuadé lundi matin le président des Etats-Unis de renchérir, dénonçant une « excuse pathétique » du maire et la complicité des médias traditionnels.

Mais surtout, les attaques de Londres ont ravivé l’acrimonie de M. Trump concernant le blocage par la justice américaine d’un décret visant à interdire temporairement l’accès au sol américain pour les ressortissants de six pays d’Afrique et du Moyen-Orient où l’islam est la religion majoritaire. Le président des Etats-Unis a publié un message réaffirmant la nécessité de cette mesure samedi soir, avant même d’exprimer sa solidarité avec les Britanniques.

Le texte cité est une version édulcorée de la proposition initiale de décret visant les musulmans, peu susceptible de franchir l’obstacle de l’examen de sa constitutionnalité. Le département de la justice a demandé le 1er juin que la Cour suprême s’en saisisse, ce qui n’interviendra sans doute pas avant de longs mois, après les avis négatifs rendus par des juges fédéraux et des cours d’appel en dépit d’une nouvelle rédaction du texte. Cette rédaction avait été notamment purgée de la référence au traitement préférentiel prévu initialement pour les minorités confessionnelles présentes dans les pays ciblés, qui soulignait en creux que l’islam était bien visé.

Une insistance contre-productive

L’insistance manifestée par M. Trump dimanche et lundi s’est révélée doublement contre-productive. Tout d’abord parce que le président a affirmé que son décret constituait bien une interdiction de voyager, un « travel ban ». Le secrétaire à la sécurité intérieure, John Kelly, sa conseillère Kellyanne Conway et son porte-parole, Sean Spicer, ont pourtant assuré des semaines durant qu’il n’en était pas question. M. Kelly avait d’ailleurs répété le 28 mai qu’il ne s’agissait que d’une « pause ».

En dénonçant un « politiquement correct » et en déplorant l’atténuation que constituait la seconde rédaction du décret, M. Trump a donné de nouvelles munitions aux opposants du texte, qui pourront faire valoir que le président cible bien l’islam. En ajoutant que son administration procédait déjà à un « contrôle extrême » des étrangers arrivant aux Etats-Unis, le président a enfin remis en cause sa nécessité. Signé dès son arrivée à la Maison Blanche, en janvier, puis réécrit en mars, le décret prévoyait en effet un gel temporaire de trois mois, le temps que soient mises en place des procédures efficaces de contrôle. M. Trump a semblé laissé entendre lundi qu’elles étaient déjà opérationnelles.

Dans un de ses messages de lundi, M. Trump a également dénoncé les démocrates du Congrès, qualifiés d’« obstructionnistes », parce que ces derniers ralentiraient selon le président le processus de nomination pour les milliers de postes qui deviennent vacants à chaque alternance. M. Trump a cependant accumulé un retard dont il est le principal responsable. Le président n’a ainsi toujours pas désigné officiellement d’ambassadeur à Londres, pas plus que dans les principales capitales européennes. En l’absence d’un titulaire, un chargé d’affaires, diplomate de carrière, a exprimé ostensiblement son soutien au maire de Londres après sa mise en cause par le président.

Un usage critiqué par une majorité d’Américains

Samedi soir, après l’annonce des attaques, M. Trump avait partagé sur son compte un lien vers l’agrégateur conservateur et controversé Drudge Report, qui faisait état de leur caractère terroriste sans la moindre confirmation officielle. L’agence Associated Press, rappelant que M. Trump avait fait de même à tort avec une attaque survenue aux Philippines le 1er juin, a publié une dépêche recensant les dernières contre-vérités et approximations du président commençant par la formule suivante : « On ne peut pas considérer que le président Donald Trump donne des informations précises aux Américains lorsque des actes de violence se déroulent à l’étranger. »

Cette mise en question de la parole présidentielle a été alimentée par Mme Conway elle-même, lundi matin, lorsque la conseillère de M. Trump a déploré « l’obsession » de médias prompts à rendre compte de « tout ce qu’il dit sur Twitter », mais « très peu de ce qu’il fait en tant que président ». Sean Spicer a adopté une stratégie d’évitement face aux messages les plus controversés du président. Il se contente d’indiquer, lorsqu’il est interrogé à leur sujet, que « les tweets du président parlent d’eux-mêmes ».

Une majorité écrasante d’Américains (61 %, contre 33 % qui sont d’un avis opposé) déplore l’usage que fait M. Trump de son compte personnel depuis son arrivée à la Maison Blanche, selon une enquête de la Quinnipiac University publiée en mai. Cette dernière a confirmé les résultats sur ce point de sondages précédents. Depuis quelques jours, un site permet de publier les messages du président dans la forme des communiqués officiels de la Maison Blanche, pour insister sur le fait qu’ils n’ont rien d’anodin.