« She want Love », 2014. | Boris Nzebo

Le photographe J.D. ’Okai Ojeikere a immortalisé les coiffures des femmes avec de sublimes clichés noir et blanc à l’esthétique épurée. De dos, de face, de profil, en surplomb, il a donné à voir de savantes compositions où la créativité le dispute à la beauté. Le peintre Boris Nzebo, lui, les met en valeur dans des toiles aux couleurs vives. A l’instar de son aîné nigérian, décédé en 2014, le Camerounais voit dans la coiffure un art à part entière, qui requiert une technicité particulière et élabore des œuvres significatives. Une architecture singulière qu’il fait se confronter à celle des bâtiments qu’il superpose ou qu’il fond dans le dessin des visages de femmes ou d’hommes qu’il dessine.

Les traits se croisent et se décroisent, les images s’accumulent, se chevauchent, semblent se recouvrir avant de s’effacer et de dévoiler grâce à un subtil jeu d’enchevêtrement une mise en abîme qui oblige l’œil à déconstruire chaque toile pour en saisir la narration complexe. Au final, chez Boris Nzebo, la coiffure, si elle apparaît au premier plan, est un prétexte pour dire diverses réalités – enfants soldats, présence de Boko Haram dans le nord de son pays, conflits armés –, et questionner nos sociétés à travers leurs préoccupations urbaines, la place de la parole libre et de la révolte populaire, celle de l’enfant…

« Modèles africains »

Objet sociologique qui, par ses modèles (traditionnels ou contemporains), ses ajouts (perruques, mèches, « greffes » et autres tissages), la qualités des produits utilisés, dit une part de vous-même, la coiffure est un révélateur de « l’état de nos sociétés actuelles », estime Boris Nzebo, qui travaille actuellement à la réalisation d’une série intitulée « Fashion victime ». « Les jeunes Camerounaises manquent de modèles africains. Elles veulent avoir de longs cheveux lisses comme les stars occidentales. En se défrisant, elles se dénaturent », observe le peintre qui voit là l’expression d’un certain malaise. Un manque d’estime de soi. « Nos coiffures anciennes disparaissent. La mèche est devenu un vrai business », regrette-t-il.

Lui a coupé il y a quelques temps ses dreadlocks, pour n’en conserver qu’une, qu’il attache en chignon, « à la manière d’un yakuza », dévoilant une nuque de laquelle s’échappent vers l’oreille des étoiles tatouées. Et d’ajouter : « J’ai grandi dans un environnement où la coiffure jouait un rôle déterminant. Mes trois frères sont devenus coiffeurs. Moi-même, je me suis formé pendant huit mois pour mieux en comprendre les techniques et les significations. Pourquoi en certaines occasions une femme veut une coiffure traditionnelle ou au contraire un tissage ? »

« Laissez-nous sortir », 2016. | Boris Nzebo

Encouragé à devenir artiste par un père employé dans le secteur du bois au Gabon, mais passionné de musique et de dessin, Boris Nzebo a commencé par peindre des enseignes de salon de coiffure. Après une enfance passée au Gabon où il est né en 1979 à Port-Gentil, Boris Nzebo a étudié les arts graphiques à Douala. Mais, surtout, il a rencontré Koko Komegne, l’un des pionniers de l’art contemporain au Cameroun, et a été formé par l’artiste camerounais Goddy Leye (décédé en 2011) avec qui il a beaucoup échangé sur sa pratique. « Ce qui m’inspirait alors, c’était le pop art, explique Boris Nzebo. Mais moi, Africain, je ne pouvais pas faire la même chose. Ça n’avait pas de sens. Il fallait que je trouve ma propre écriture plastique et que j’aie un discours artistique en phase avec mon époque. Je ne voulais pas juste peindre des enseignes. Je voulais m’inscrire dans l’histoire de l’art. J’ai été dans cette quête de sens pendant dix ans. »

Dix longues années « de galère » mais qui lui permettront d’affiner son style « afropop » qu’il vend aujourd’hui dans le monde entier. Grâce au soutien de Didier Schaub, aujourd’hui décédé, qui a fondé le centre Doual’art avec Marilyn Douala Manga Bell, Boris Nzebo participe à Art Dubaï en 2013. C’est là que Jack Bell, qui le représente aujourd’hui tout comme Maréme Malong (Galerie MAM), le repère. Et décide de l’exposer en Grande-Bretagne. Collectionné et exposé par Saatchi, il participe depuis régulièrement aux grands rendez-vous internationaux.

« Les élites manquent de culture »

Au milieu des toiles qu’il prépare pour ses prochaines expositions, il égrène : 1:54 à Londres, Art Miami, Art Paris Art Fair avec la Galerie MAM qui le présentera à Art X Lagos et AKAA à Paris en novembre… Sans oublier la Manchester Art Gallery qui l’expose actuellement aux côtés des Bacon, Modigliani, Giacometti… Sa toile Miss Monter/Descendre acquise par l’institution britannique a même été choisie pour l’affriche de l’exposition « To be Human », visible jusqu’à septembre.

Si le plasticien reconnaît l’importance des grandes expositions organisées actuellement à Paris, à La Villette, ou à la Fondation Louis-Vuitton qui donnent de la visibilité aux créateurs du continent, il s’interroge : « Est-ce que cela va permettre aux artistes de trouver de véritables galeries pour les représenter ? Et en quoi cela va-t-il développer un marché de l’art ici ? Car c’est là que le bât blesse. Il y a encore trop peu de galeries africaines qui fonctionnent de manière professionnelle. Même si certaines villes sont dynamiques comme Dakar, Lagos, ou Johannesburg, il n’y a pas de véritable marché de l’art. De manière générale, les élites manquent de culture et n’achètent pas d’œuvres d’art. »

« Etat des lieux », 2013. | Boris Nzebo

Boris Nzebo a installé son atelier dans la modeste concession familiale au Village Song Mahop – Carrefour Nelson-Mandela, rebaptisé « J’ai râté ma vie », un quartier populaire (et de plaisir, la nuit tombée) de Douala. C’est là qu’il crée, le plus souvent sur un air de reggae, jusqu’au milieu de la nuit, voire au petit matin. C’est un petit royaume ordonné qu’encombrent toiles, pots de peinture et feutres acrylique Posca. Tout est à sa place… en attendant de déménager dans un atelier plus grand au cœur d’une demeure qu’il fait bâtir et qu’a conçue pour lui l’architecte camerounais en vue Jules Wokam. Au portail de sa future propriété, sa marque de fabrique : une tête coiffée.

« To be Human », jusqu’au 3 septembre à la Manchester Art Gallery.