Editorial du « Monde ». Dans les affaires, on appelle cela une valeur de retournement. Une entreprise qui a connu bien des difficultés mais va s’en sortir et retrouver une prospérité que la Bourse et les investisseurs croyaient et croient encore improbable. Il en va ainsi de la zone euro, dix ans après la crise américaine des « subprimes », ces prêts immobiliers à risques, qui déclencha la pire tempête financière que la planète ait connue depuis 1929.

C’est ainsi qu’il faut comprendre l’espoir de Philipp Hildebrand, ancien patron de la banque centrale de Suisse (BNS) et aujourd’hui vice-président du fonds d’investissement BlackRock, premier gestionnaire de capitaux au monde : interrogé par Bloomberg, il a estimé que l’union économique et monétaire était peut-être à l’aube d’une « décennie dorée ».

Regardons d’abord ce qui a été accompli. La zone euro a traversé la pire crise de son existence et a mis en place les conditions de sa survie. Les difficultés restent importantes en Grèce, mais la crise a perdu l’acuité qu’elle avait il y a deux ans, lorsque fut envisagé le « Grexit ». Les banques italiennes continuent d’avoir des créances douteuses considérables, qui pèsent sur l’économie.

Il n’empêche, progressivement, l’union monétaire se redresse. L’Espagne, au prix d’efforts considérables, a remis sur pied son industrie. Le Portugal repart enfin. La Finlande tourne la page de la récession. Les indicateurs de confiance sont au beau fixe dans toute la zone. Même le chômage, plaie de l’Europe continentale, recule. Il frappait en avril 9,3 % de la population, chiffre toujours beaucoup trop élevé, mais qui permet de retrouver le niveau de mars 2009.

Le contexte politique s’est retourné

Ce regain de compétitivité, fruit d’efforts sans précédent, a été accompagné par un contexte macroéconomique favorable. Extérieur, d’abord : la baisse des cours du pétrole, le recul de l’euro sur le marché des changes et la reprise globale qui s’annonce ; intérieur ensuite, avec la fin de l’austérité budgétaire qui avait été décidée au pire de la crise de l’euro, en 2011-2012, et la politique monétaire extrêmement accommodante menée par la Banque centrale européenne (BCE). Le triple effet pétrole-euro- taux s’estompe, car il dure depuis longtemps déjà. Mais la bonne tenue de la croissance montre que la zone euro commence à voler économiquement de ses propres ailes, sans avoir besoin de recourir à des produits dopants.

Enfin, et surtout, le contexte politique s’est retourné. Le Brexit, au lieu d’enclencher un effet domino, a conduit à endiguer, au moins provisoirement, la vague populiste. La reconquête a commencé avec la défaite du leader Geert Wilders aux Pays-Bas et s’est poursuivie avec la victoire d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle française. L’euroscepticisme obsessionnel qui frappait le Vieux Continent et les observateurs anglo-saxons, toujours prompts à jouer les cassandres sur l’euro, n’est plus de mise.

Reste à profiter de ce moment européen et français. Emmanuel Macron devrait avoir une majorité pour gouverner, ce qui rassure fortement les milieux économiques qui ont besoin de stabilité. Certes, la France continue d’avoir des déficits excessifs et l’effort d’assainissement n’a pas été suffisant, comme le notait récemment la Cour des comptes, mais elle a une occasion pour combler l’écart de compétitivité avec l’Allemagne, qui s’était creusé à partir de 2004. C’est la condition évoquée par Philipp Hildebrand pour que se réalise la « décennie dorée » qu’il prédit.