Dans la litanie des procès impliquant le négationniste Robert Faurisson depuis près de quarante ans, c’est une première. Le tribunal de grande instance de Paris a dit, mardi 6 juin, qu’écrire que M. Faurisson est « un menteur professionnel », un « falsificateur » et « un faussaire de l’histoire » est conforme à la vérité. Il a en conséquence relaxé la journaliste du Monde Ariane Chemin, qui était poursuivie pour diffamation. L’homme, aujourd’hui âgé de 88 ans, l’attaquait ainsi que l’éditeur Flammarion pour la réédition en septembre 2014 dans l’ouvrage commémorant les soixante-dix ans du quotidien d’un article publié le 21 août 2012 dans Le Monde.

Jusqu’ici, lorsque Robert Faurisson perdait ses procès en diffamation contre la presse, c’était au bénéfice de la « bonne foi » de l’auteur des propos diffamatoires, une des conditions exigées dans la très stricte loi de 1881 sur la presse. Même Robert Badinter n’a été relaxé le 21 mai 2007 par la dix-septième chambre correctionnelle de Paris du chef de diffamation qu’au titre de cette « bonne foi » alors qu’il avait utilisé les termes de « faussaire de l’histoire » dans une émission de télévision sur Arte en 2006.

« Ce jour est à marquer d’une pierre blanche », affirme Catherine Cohen, l’avocate de Mme Chemin. La présidente de la « 17e », Fabienne Siredey Garnier, signe un jugement extrêmement détaillé pour constater que « l’offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires » apportée par la journaliste est « parfaite, complète et corrélative aux imputations dans toute leur portée ». Ce qui produit un « effet absolutoire », alors que les propos sont reconnus diffamatoires.

« Les révisionnismes ont encore de belles heures devant eux »

Invité par le parquet, lors de l’audience du 9 mai, à ne pas prononcer une énième relaxe au titre de la bonne foi, le tribunal s’est livré à un examen minutieux des nombreuses condamnations de M. Faurisson pour « contestation de crimes contre l’humanité », et des non moins nombreux jugements qui le déboutaient de ses actions en diffamation. Le constat est sans appel : « toutes ces décisions n’ont de cesse que de stigmatiser, en des termes particulièrement clairs, les manquements et les abus caractérisant ses méthodes ». Et de rappeler « l’absence de caractère scientifique de ses travaux ».

D’ailleurs, au cours de l’audience du 9 mai, qui a duré plus de six heures, que Mme Cohen qualifie de « particulièrement pénible », M. Faurisson est resté dans son registre, l’appliquant bien au-delà de l’existence des chambres à gaz. « Il falsifie même la jurisprudence et parvient à tourner en victoires les procès qu’il a perdus », relate l’avocate.

Ce premier jugement du tribunal, qui sera sans doute suivi par d’autres, à moins qu’il ne soit corrigé en appel, intervient sur un article au statut bien particulier. Dans son enquête extrêmement fouillée d’août 2012, Ariane Chemin cherchait à comprendre pourquoi Le Monde avait décidé de publier le 29 décembre 1978 une tribune de celui qui était alors maître de conférences à l’université de Lyon 2, titrée « Le problème des chambres à gaz ou “la rumeur d’Auschwitz” ». C’est de ce jour que la notoriété des thèses négationnistes a pris son essor. L’article de 2012 qualifie ainsi de « bourde monumentale », la décision de 1978 par « un journal qui semble déplorer le surgissement médiatique d’un homme qu’il met lui-même, ce jour-là, sous les feux de la rampe ».

Lire l’article d’Ariane Chemin au cœur du procès  : Le jour où "Le Monde" a publié la tribune de Faurisson

Aujourd’hui, Ariane Chemin estime que la fin de son article de 2012 était « trop optimiste » en écrivant que les historiens avaient « réduit à néant les fantasmagories de Faurisson et de son fan-club antisémite ». « A l’heure de la post-vérité et des réseaux sociaux, hélas, les révisionnismes ont encore de belles heures devant eux », s’inquiète-t-elle. Le tribunal a au moins clarifié les choses sur certains « faits alternatifs ».