Editorial du « Monde ». Vous l’avez rêvée ? Le terrorisme et Donald Trump l’ont faite pour vous. La vision de la « défense européenne », présentée mercredi 7 juin par la Commission de Bruxelles, constitue une avancée historique : en apportant une dimension militaire à la construction de l’Europe, elle brise un tabou vieux de plusieurs décennies, celui qui voulait que le projet européen ne soit que civil.

Cette vision, articulée à l’horizon 2025, prévoit un budget annuel de 500 millions d’euros consacré à la recherche à partir de 2020. Mais, surtout, elle s’accompagne de la création d’un fonds européen de la défense qui mobiliserait 5,5 milliards d’euros sur les capacités militaires et permettrait à l’Union européenne et à ses Etats membres d’acquérir des équipements en réduisant les coûts. Le plan de la Commission devrait être débattu par les Etats membres dès le sommet du 22 juin.

Mutualisation et efficacité sont les deux logiques qui ont prévalu à cette réflexion. Les budgets cumulés des 28 Etats membres de l’UE se montent à plus de 200 milliards d’euros, mais l’absence de coopération enlève tout son sens à ce chiffre. La multiplicité des industries de défense nationales place trop souvent les Etats membres en concurrence les uns avec les autres : l’UE abrite, par exemple, 20 modèles différents d’avions de chasse et 70 programmes de drones. Cette non-coopération, selon les calculs de la Commission, coûte chaque année entre 25 et 100 milliards d’euros. La création du fonds européen de la défense, si elle est actée, constituerait le premier signe tangible de l’implication de l’Union dans sa défense.

Des planètes alignées

Plusieurs facteurs ont favorisé l’émergence de cette défense européenne, qui apparaissait à ses partisans comme impossible. L’intensification de la menace terroriste, d’abord, avec la multiplication alarmante d’attentats dans les grandes villes de l’Union. La complexité de la gestion de l’immigration clandestine, qui passe aussi par la protection des frontières. Les velléités expansionnistes russes et le recours à de nouvelles formes de guerre hybride, qui inquiètent particulièrement les Etats du flanc oriental de l’UE. L’importance prise par la cybersécurité, qui nécessite une coordination à l’échelle européenne. Le vote du Brexit, qui lève le veto de facto traditionnellement mis par le Royaume-Uni à toute initiative sérieuse visant à communautariser la défense. Et, enfin, les errements d’un président américain qui refuse de confirmer personnellement et formellement l’engagement de solidarité militaire des Etats-Unis à l’égard de ses alliés européens.

Aux termes du plan de la Commission, « la protection de l’Europe dépendrait désormais d’une responsabilité commune se renforçant mutuellement, celle de l’OTAN et de l’UE ». Il ne s’agit pas, en effet, de se substituer à l’Alliance atlantique, qui reste le dispositif essentiel, mais d’accroître les capacités, l’efficacité et l’autonomie de la défense européenne. Jamais, dans l’histoire de la construction de l’Europe, les planètes n’auront été aussi alignées pour l’émergence d’une véritable défense européenne. Y contribueront les chances d’une convergence franco-allemande, concrétisée par l’excellente entente entre les deux ministres de la défense, Sylvie Goulard et Ursula von der Leyen. Puissent les ­décideurs politiques et industriels des Etats membres suivre la voie tracée par la Commission et donner corps, enfin, à une ambition ancienne devenue une impérieuse nécessité.