Wonder Woman, ici incarnée par l’actrice Gal Gadot, reste à ce jour l’unique femme d’un univers de comics à avoir bénéficié d’un film à son nom depuis l’échec de Elektra en 2005. | Clay Enos / AP

Avec la sortie de Wonder Woman, mercredi 7 juin, Hollywood met fin à douze années d’absence. Celle des films de superhéros issus d’un comic-book et dont le rôle-titre revient à une femme. Le dernier cas remontait à Elektra, en 2005. Depuis le début de l’offensive Disney-Marvel, entamée en 2008 avec Iron Man, aucun des dix-neuf films produits par le studio ou son concurrent Warner-DC n’avait ainsi mis une femme à l’honneur. Après Wonder Woman produit par Warner-DC, le premier du genre pour la franchise de Disney sera Captain Marvel, prévu pour 2019.

Pour Nicolas Labarre, maître de conférences en civilisations américaines à l’Université Bordeaux-Montaigne, la faute incombe en partie à la tradition hollywoodienne. « Les femmes occupent historiquement une place marginale dans le cinéma hollywoodien. Le fond du problème est cette idée reçue que les femmes ne peuvent pas être à la tête de films d’action. C’est une prophétie autoréalisatrice », explique l’universitaire. Les films comme Catwoman, Elektra et le Supergirl de 1984 ont prouvé, selon lui, que ces productions sont considérées comme « les parents pauvres de leurs homologues centrés sur des hommes ». Il met en avant leurs budgets dérisoires, leur mauvaise réalisation et écriture, qui ont irrémédiablement mené à leur échec au box-office.

Si le système hollywoodien a sa part de responsabilité, l’héritage des comics américains est également dénoncé. Attachés à leur lectorat de jeunes garçons, les créateurs de comics ont féminisé leurs bandes dessinées sur le tard. Gianni Haver, professeur de sociologie de l’image à l’université de Lausanne, en Suisse, soulève que « le modèle de l’héroïcité féminine dans l’univers des comics, Wonder Woman mis à part, a longtemps constitué tout, sauf un point de départ. L’héroïne était simplement la féminisation de son pendant masculin. » Il cite en exemple le Captain Marvel, un homme à l’origine, qui s’est progressivement vu entouré d’une famille : une femme Marvel, un adolescent Marvel… Batman n’est pas différent avec sa « batfamily » hétéroclite : Robin, Batgirl, Batwoman, Batwing, etc.

« La première véritable arrivée d’héroïnes qui ne sont pas la féminisation d’un homme remonte aux années 1960, avec notamment les X-Men et les Quatre Fantastiques de Marvel », explique Gianni Haver, qui nuance immédiatement cette féminisation : « Ces femmes faisaient partie d’un ensemble, elles ne portaient pas seules l’histoire. La figure phare reste le superhéros classique, celui qui s’inscrit dans la lignée de Superman. »

« Jolie, jeune, plutôt blanche »

Brigitte Rollet est chercheuse au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines et travaille, entre autres, sur les questions de genre et de sexualité sur grands et petits écrans. Pour elle, la façon dont les femmes sont représentées dans ces univers pose aussi problème. Wonder Woman est, selon elle, typique des tentatives de féminisation d’univers très masculins : « jolie, jeune, plutôt blanche ». Qui plus est, l’amazone de DC est bien plus sexualisée que ses pendants masculins. Même son de cloche pour Gianni Haver.

« Dans la société américaine puritaine des années 1940, Wonder Woman avait un côté pin-up avec son costume, explique-t-il, en ajoutant une observation sur cette icône du XXe siècle : dans la première version du personnage, l’une de ses raisons pour agir de façon héroïque est l’amour, celui qu’elle voue au capitaine Trevor. Sa motivation initiale est donc celle d’une femme guidée par les sentiments. Il a fallu longtemps pour trouver un héros féminin qui ne soit pas guidé par des sentiments amoureux ou maternels. » Il note que pour les héros masculins, c’est le contraire. Soit leur vie amoureuse est sublimée mais perpétuellement vouée à l’échec, comme Superman et Spiderman. Soit ils font le choix de complètement s’en détacher, comme Batman. Dans les deux cas, l’homme voit en l’amour un obstacle à son héroïsme, alors que la femme se construit autour.

Pour Nicolas Labarre, il existe des contre-exemples de personnages féminins héroïques à succès et traitées avec respect : Buffy contre les vampires et la quête héroïque d’une chasseuse de vampire blonde tordant le coup aux clichés des films d’horreur. Ou Katniss, de Hunger Games, l’héroïne malgré elle qui va, par ses actes, mener son peuple à la révolution. Il faut souligner que ces femmes ne sont pas issues d’un univers de comics. « Elles ont été développées à travers les codes qui régissent les productions sur les superhéros et construites comme des personnages féminins, mais nuancés », expose t-il, en reconnaissant que le personnage Marvel de Gamora, des Gardiens de la galaxie, semble suivre ce chemin.

Une phase de transition

Si les séries télévisées issues des comics de Marvel et DC offrent souvent aux femmes un véritable développement de leur caractère, les franchises de films de ces mêmes univers évoluent lentement. La faute en revient, en grande partie, aux frilosités économiques des studios. Pour Brigitte Rollet, « les studios ne sont pas des philanthropes, ils ne se situent pas dans une démarche de représentation réelle de la démographie ». Tant que le modèle en place fonctionne, nul besoin de le changer. Pour l’universitaire, la donne changera réellement quand les équipes créatrices des films de tous genres seront plus féminisées qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Nicolas Labarre pense aussi que les studios devraient prendre exemple sur les dessins animés des années 1990 comme Justice League, les séries Batman ou X-Men. Pour alimenter leurs épisodes, les créateurs sont allés puiser dans le large panier de personnages secondaires qu’offraient les comics. Notamment des femmes, afin d’attirer le plus large public possible. Pour lui, il faut fouiller ce vaste catalogue et « aller les chercher elles plutôt qu’eux, sans écouter les protestations des lecteurs de comics traditionnels, très attachés à un certain puritanisme. Le grand public ne lit pas les comics. » Donc ne sait pas d’emblée que la première version de tel ou tel personnage était, un demi-siècle plus tôt, un homme.