Theresa May lors de son dernier meeting de campagne près de Birmingham, le 7 juin. | BEN STANSALL / AFP

Tous les bastions peuvent un jour tomber. C’est en tout cas l’image que donnent à voir ces militants conservateurs qui courent, tracts à la main et cheveux au vent, les rues pavillonnaires de Birmingham. Il y a dix ans, les tories n’auraient pas pensé pouvoir récupérer un fief travailliste comme celui-ci. Mais les choses changent. Et depuis le 18 avril, date à laquelle Theresa May a décidé de convoquer des législatives anticipées, tout est allé très vite.

A l’issue du scrutin de jeudi 8 juin, la première ministre britannique espère bien asseoir sa majorité gouvernementale avant les négociations du Brexit avec l’Union européenne. Selon les sondages locaux, au moins trois des neuf circonscriptions de cette ville du centre de l’Angleterre – la plus grande après Londres – acquise au Labour depuis les années 1990, pourraient basculer en faveur du parti conservateur.

Le siège de Richard Burden fait partie de ceux qui ne sont pas loin de céder. Député du Labour depuis 1992, réélu six fois dans sa circonscription de Northfield, au sud de Birmingham, il n’a cessé de perdre de l’avance sur son opposant conservateur au fur et à mesure des années. De ses vingt-neuf points d’avance sur les tories en 1997, il ne lui restait que six points lors des dernières législatives en 2015 (soit 2 509 voix de plus que la candidate conservatrice de l’époque, Rachel Maclean).

Pour David Salt, syndicaliste à la retraite, « c’est parce que le Labour s’est éloigné des classes populaires qu’il peut perdre dans une circonscription comme celle-ci ». L’homme à casquette de 61 ans votera pourtant encore pour M. Burden cette année, mais il glissera le bulletin en pensant à l’enjeu national, au rôle de Jeremy Corbyn. Son ouïe n’est plus très bonne, mais il assure l’avoir remarqué : « Le leader du Labour a su faire renouer le parti avec ses racines socialistes. »

Yvonne, elle, a basculé. Demain, avant d’aller promener son chien durant sa pause déjeuner comme ce mercredi 7 juin, elle votera conservateur. Emmitouflée dans son sweat à capuche rose pour se protéger des rafales de vent, cette aide maternelle de 63 ans reconnaît avoir presque toujours voté Labour. Cette année elle ne se voit pas revoter pour le député travailliste, parce que la politique de son parti « en matière d’immigration n’est pas bonne ».

C’est un retour au contrôle des frontières nationales qui l’avait poussée à voter pour la sortie de l’Union européenne il y a presque un an. Si, jeudi, elle veut mettre le bulletin de Meg Powell-Chandler, tory de 29 ans, c’est avant tout « parce que Theresa May sera la mieux placée pour négocier les conditions du Brexit avec l’Europe ».

Porte à porte de dernière minute

Une carte précise des quartiers à convaincre a été mise au point par le bureau local du Parti conservateur. | Le Monde

« Il faut donner une puissance au gouvernement britannique pour négocier les meilleures conditions pour sa sortie de l’Union. » L’argument est répété jour après jour par Luke Evans. Avec d’autres militants conservateurs bénévoles, le médecin généraliste de 34 ans et ancien candidat aux législatives fait du porte-à-porte depuis trois semaines, quand la campagne s’est précipitée. Une liste de noms à la main, la carte du quartier dans l’autre, il dirige l’une des équipes chargées de convaincre de potentiels électeurs.

Chemise rayée sous sa veste Harrington, il s’occupe en cette veille de vote du quartier résidentiel et ouvrier de Weoley, situé dans le nord de la circonscription. « Pour qui allez vous voter demain ? », s’enquiert le militant auprès d’un voisin repeignant ses volets. « Richard Burden. » Le député travailliste sortant, raté.

Le militant respecte le choix du riverain, semble passer au prochain, mais tente un : « Vous êtes donc plutôt Corbyn, si je comprends.

– Non, pas Corbyn, grimace l’électeur travailliste. Je vote pour le député, Richard Burden. »

Instiller le doute dans la tête des électeurs du Labour non convaincus par le nouveau dirigeant travailliste, on lui fait remarquer que la technique est perfide. « On leur rappelle simplement qu’une élection législative donne d’abord un mandat national au député et donc à son parti. »

Il veut permettre à Meg Powell Chandler, ancienne conseillère du premier ministre David Cameron parachutée au dernier moment à Birmingham, de réussir ce qu’il n’a pas pu faire en 2015 dans la circonscription d’Edgbaston, à quelques centaines de mètres de là. A l’époque candidat conservateur, Luke Evans avait échoué à 2 700 voix près à décrocher le siège du député travailliste.

Luke Evans, ancien candidat aux législatives à Birmingham, tracte pour le Parti conservateur dans la circonscription de Northfield. | Le Monde

L’autre cible des tories, ce sont les anciens électeurs de l’UKIP. Pour favoriser la ligne dure de Mme May sur le Brexit, le parti antieuropéen a en effet décidé de ne pas présenter de candidat dans les trois circonscriptions – Northfield, Edgbaston et Erdington – où travaillistes et conservateurs sont au coude à coude à Birmingham. A Northfield, les 7 000 voix qu’avaient obtenues le candidat de l’UKIP en 2015 pourraient largement faire basculer l’élection. Un an plus tard, le vote en faveur du Brexit avait été de 62 % dans cette partie résidentielle de Birmingham, contre un peu plus de 50 % dans l’ensemble de la ville.

Jeremy Corbyn veut convaincre les jeunes de voter

Pour Matthew Robert Cole, professeur d’histoire politique à l’université de Birmingham, une question définira principalement les résultats des législatives du 8 juin. « Est-ce que les gens vont voter selon leur position sur le Brexit ou sur l’austérité ? Si l’élection prend un tournant anti-austérité dans les urnes, cela renforcera le Labour, si elle se base sur le Brexit, les conservateurs en sortiront gagnants. »

Le leader travailliste a tenu mardi 6 juin une réunion publique en plein cœur de Birmingham. | DARREN STAPLES / REUTERS

Le niveau de participation aura également une forte influence sur le résultat des élections. « Pour le référendum sur le Brexit, les jeunes s’étaient abstenus en masse, et ça avait fait notamment pencher l’élection », commente M. Cole. Jeremy Corbyn, qui avait provoqué une vague d’adhésion chez les jeunes révoltés par l’austérité lors de son accession à la tête du Labour fin 2015, l’a bien compris. Mardi soir, à deux jours d’un scrutin qui pourrait tant le couronner que le clouer au pilori au sein de son parti, le leader travailliste tenait une réunion publique aux airs de festivals de musique en plein cœur de Birmingham.

Près de 6 000 personnes, dont beaucoup âgées de moins de 30 ans, sont ainsi venus écouter son court discours entre deux concerts sur la pelouse de l’Eastside Park. Accompagné de l’acteur et scénariste Steve Coogan, des groupes Clean Bandit et The Farm, M. Corbyn a lancé un appel aux jeunes qui étaient venus là, parfois bière à la main : « Faisons les choses différemment. Investissons dans l’éducation, investissons dans la santé, investissons dans le logement, investissons dans des emplois. Investissons dans un avenir pour nous tous. »

Theresa May a elle choisi de finir sa campagne dans les Midlands. Mercredi soir, le dernier meeting de la première ministre avant les législatives s’est ainsi déroulé à Solihull, en proche banlieue de Birmingham. Elle espère convaincre les anciens électeurs travaillistes de la région qu’elle est la plus à même à gérer un pays en proie à de nombreuses crises. Les trois attentats terroristes en trois mois qu’a connu le Royaume-Uni pourraient-ils avoir des conséquences sur l’élection ? « Pas si sûr », répond pour sa part l’universitaire Matthew Robert Cole, citant l’exemple du peu d’impact que semble avoir eu l’attentat des Champs-Elysées du 20 avril sur la présidentielle française.