Marie Sabot, le 9 mai 2017, à proximité de son agence We Love Art située rue du Faubourg-Poissonnière, à Paris. | Juliette Bates pour M Le magazine du Monde

La directrice du festival We Love Green, Marie Sabot, 46 ans, fait vibrer la scène musicale électronique et alternative depuis plus de vingt ans. Elle a co-fondé We Love Art, une agence de conseil, de production et de communication expert en nouvelles tendances. Issue de l’univers des raves, elle a collaboré à la production et à la programmation de plusieurs lieux parisiens comme de l’Elysée-Montmartre ou le Divan du monde, organisé des soirées secrètes, de grandes tournées internationales, jusqu’aux JO d’Athènes. Depuis 2011, elle démontre avec We Love Green qu’un grand rassemblement peut se tenir dans le respect de l’environnement, et entend faire de son festival un laboratoire d’expérimentations éco-responsables.

Quelle est la source de votre engagement écologiste ?

Je viens d’une famille du Sud de la France qui travaillait dans l’agriculture et le vin. J’ai assisté, petite, au basculement des entreprises maraîchères et des vergers – tout ce qui faisait la richesse de la Provence – vers de très grandes exploitations, à l’intensification du traitement sur les vignes et à l’arrivée des machines à vendanger. Ce changement de paradigme intervenu à la fin des années 1980 a créé énormément de souffrance et de dégâts : perte de sens, faillites des exploitants saisis par les banques, disparition des ouvriers saisonniers.

« Construire une ville éphémère pour 50 000 personnes est un énorme chantier. Comme dans la légende du colibri de Pierre Rabhi, chacun, dans sa spécialité, doit “faire sa part” et questionner ses habitudes. »

Des amis de lycée sont partis travailler à la centrale nucléaire de Marcoule. Je n’ai pas enquêté mais l’augmentation du nombre de cancers m’a plongée dans une grande perplexité. Vue de l’intérieur, cette région de carte-postale a autant souffert que le Nord et ceux qui s’en sont sortis sont ceux qui ont opté pour la permaculture ou qui ont continué à vinifier eux-mêmes. Tout cela m’a forgée.

We Love Green se revendique comme pionnier des festivals éco-conçus, en quoi est-il innovant ?

Il nous a fallu des années pour convaincre les autorités d’organiser un événement ouvert à toute la famille en plein air. La ville de Paris nous a au départ accordé le parc protégé de Bagatelle et on a dû prouver que l’on savait préserver cet environnement. Nous avons été les premiers à consigner les bouteilles de bières, à optimiser les déchets. Nous nous sommes inspirés des solutions techniques de festivals en Grande-Bretagne, au Japon et en Scandinavie, qui savent mettre en avant autre chose que la musique, la littérature, l’humour, la gastronomie organique. Et qui viennent de la mouvance « baba cool ». En France, c’est encore rangé dans la catégorie « gentrification ». Mais nous creusons notre sillon. Construire une ville éphémère pour 50 000 personnes est un énorme chantier. Comme dans la légende du colibri de Pierre Rabhi, chacun dans sa spécialité technique doit « faire sa part » et questionner ses habitudes.

« Il nous a fallu des années pour convaincre les autorités d’organiser un événement ouvert à toute la famille en plein air », explique Marie Sabot à propos du festival We Love Green qu’elle dirige. | Juliette Bates pour M Le magazine du Monde

Quelles sont les innovations de cette édition ?

Nous fonctionnons toujours avec 100 % d’énergies renouvelables grâce à des panneaux solaires et, cette année, nous avons enfin trouvé une start-up française, Backup Green, qui fournit des générateurs d’huile végétale recyclée. Nous appelons tous les organismes à visiter notre centrale pour venir voir comment ça marche. Pour la prochaine édition, nous souhaitons nous organiser en circuit fermé, avec l’aide de restaurateurs qui filtreront leurs huiles de cuisson. Une façon de pousser les autorités à libérer ces biocarburants et à promouvoir l’économie circulaire et solidaire.

« Nous ne sommes pas là pour convaincre des militants mais pour provoquer un déclic chez ceux qui s’arrêteront un quart d’heure pour écouter des personnalités engagées. »

En ce qui concerne les déchets, on augmente notre taux de tri. Nous avons créé cette année une plateforme collaborative de recherche ou de dépôt de matériaux, tout est en mobilier upcyclé [objet recyclé pour en faire quelque chose de meilleure qualité] et recyclé. Il n’y a pas de bouteilles plastiques sur le site, les gobelets sont consignés et une partie de notre « brigade verte » se consacrera à la collecte des mégots. 100 % de la vaisselle utilisée est compostable. On élargit cette année le réseau de Freegan Pony pour la récupération d’aliments déclassés. Les restaurateurs sont par ailleurs sélectionnés selon leur démarche responsable : traçabilité des aliments, de saison, locaux et si possible bios. Nous mettons en libre-service sur notre site une carte de leurs fournisseurs franciliens. On teste aussi des toilettes Ecosec, des cabines fonctionnant à l’énergie solaire qui permettent de créer un engrais minéral issu du phosphate des urines, ce qui casse un peu les préjugés sur le pipi qui va tuer les roses et les pétunias du jardin. Et nous mutualisons la gestion du froid, les livraisons. C’est un travail logistique colossal mais, grâce aux techniciens, nos bonnes pratiques essaiment sur d’autres événements.

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Vous prolongez cet engagement avec une scène consacrée aux échanges d’idées…

Ce « think tank » a démarré avec modestie sous un petit tipi pour 50 personnes. Devant l’engouement, nous y consacrons une scène à part entière depuis 2015. Nous ne sommes pas là pour convaincre des militants mais pour provoquer un déclic chez les gens qui passent d’une scène musicale à l’autre avec une bière à la main et vont s’arrêter un quart d’heure pour écouter des personnalités engagées. Comme Vandana Shiva, militante écologiste et féministe indienne, le père du microcrédit et prix Nobel de la Paix 2006 Muhammad Yunus, Ladonna Brave Bull Allard, fondatrice du camp de Standing Rock en lutte contre le passage d’un pipeline sur la réserve indienne, ou l’initiateur du concept des « Villes en transition » Rob Hopkins. Tout cela n’est ni du vernis ni du « greenwashing », ça peut commencer à irriguer la vie des gens.

Et pour revenir à la musique, qui pourra-t-on écouter lors de cette 6e édition ?

Les enchères montent sur des têtes d’affiche. On a préféré sortir de cette compétition plutôt qu’abandonner nos engagements environnementaux. Justice va présenter en avant-première le nouveau live de sa tournée « Woman World Tour ». Solange (la sœur de Beyoncé) devrait offrir un show ciselé. Se succéderont des artistes déterminés : Camille, qui lors d’une précédente édition était venue avec des semenciers en lutte contre Monsanto, Nicolas Jaar, Moderat, Richie Hawtin, Benjamin Clementine, Amadou & Mariam, Flying Lotus… La musique raconte aussi des choses et, tant dans la programmation que parmi le public, il y a une jeune génération dont l’analyse pragmatique, hors de l’hédonisme consumériste, est extrêmement pertinente.

We Love Green, samedi 10 et dimanche 11 juin, Bois de Vincennes, Paris 12e. www.welovegreen.fr