Une femme est évacuée du Parlement à Téhéran, le 7 juin 2017, pendant une attaque ensuite revendiquée par l’EI. | HANDOUT / REUTERS

L’Iran attendait cette attaque et s’y préparait de longue date. L’organisation Etat islamique (EI) a revendiqué, à travers son agence de presse Aamaq, son premier attentat sur le sol iranien, mercredi 7 juin. L’EI a loué les « combattants » qui ont tué au moins 13 personnes et en ont blessé des dizaines d’autres dans deux lieux symboliques du pouvoir iranien : au Parlement, dans le centre de Téhéran, et au mausolée du fondateur de la République islamique, l’ayatollah Khomeyni, en grande banlieue de la capitale.

L’Iran est une cible prioritaire de l’EI. Puissance chiite honnie des djihadistes sunnites, Téhéran combat ceux-ci en Irak, en soutenant les forces armées et les milices chiites irakiennes. L’Iran combat également en Syrie, où des Gardiens de la révolution – la principale force du pays – défendent le régime de Bachar Al-Assad en coordonnant l’action de groupes chiites alliés libanais (le Hezbollah), irakiens, afghans et pakistanais. Les autorités iraniennes affirment combattre le djihadisme sunnite en Irak et en Syrie afin de n’avoir pas à l’affronter sur leur sol.

Depuis des mois, l’EI avait intensifié ses efforts de propagande en direction de la minorité sunnite du pays (environ 15 % de la population). L’organisation avait diffusé fin mars un message vidéo appelant à l’insurrection contre l’Etat iranien, et publié quatre numéros de sa publication en ligne Rumiyah en persan.

Iran : l’Etat islamique mène une double attaque à Téhéran
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De multiples tentatives d’attentat de l’EI

Si l’attaque de mercredi – dont l’attribution n’a pas été confirmée par les autorités iraniennes – est bien la première revendication d’une attaque par l’EI en Iran, elle n’est pas la première tentative. Dès 2015, les autorités iraniennes avaient affirmé avoir démantelé une cellule djihadiste qui s’apprêtait à frapper à Téhéran.

Plusieurs attaques de mouvements islamistes locaux ont par ailleurs eu lieu depuis deux ans au Sistan-Baloutchistan, région du sud-est où se concentre une large population sunnite. En pleine campagne pour la présidentielle iranienne du 19 mai – qui a vu la réélection du modéré Hassan Rohani –, le groupe islamiste Jaïch Al-Adl, accusé par Téhéran d’être lié au Pakistan, avait tué dix gardes-frontières iraniens.

Lancée en milieu de matinée, l’attaque de mercredi indique une importante préparation des assaillants, qui ont visé de façon coordonnée des cibles hautement sécurisées, des symboles de l’Etat républicain (le Parlement), théocratique et révolutionnaire (le mausolée). Ils sont parvenus à faire durer leur action durant plusieurs heures, tandis que les relais de l’EI en propageaient l’écho rapidement, en plusieurs langues – ce qui donne de la crédibilité à sa revendication. L’agence Aamaq a rapidement diffusé une vidéo attribuée à l’un des assaillants du Parlement, les montrant passant d’un bureau à un autre et exécutant un homme à terre.

Durcissement de l’appareil sécuritaire attendu

L’attaque est un coup dur porté au président Hassan Rohani, qui n’a cessé de rappeler, durant sa campagne électorale, que l’Iran demeurait un pays en sécurité malgré les guerres en cours à ses frontières (Afghanistan, Irak, Syrie). Ceci grâce aux efforts des services de sécurité et de renseignement, qu’il louait. Les autorités ont relativisé la portée des fusillades, dès mercredi matin : le Parlement a maintenu un temps sa session alors que les assaillants étaient présents dans le bâtiment, et la télévision d’Etat a mentionné brièvement l’attaque à la fin d’un compte-rendu de cette session, avant de diffuser un sujet sur l’augmentation du coût des places en crèches.

Cependant, on peut attendre un durcissement de l’appareil sécuritaire, notamment dans les zones frontalières à forte population sunnite (Sistan-Baloutchistan, Kurdistan). Ces populations discriminées – dans les universités comme à l’embauche, notamment dans les forces de sécurité – ont fait l’objet, depuis la prise de Mossoul par l’EI en juin 2014, d’une attention renouvelée de la part de l’Etat central, qui a fait des gestes d’ouverture. Elles ont voté à une large majorité pour réélire M. Rohani, le 19 mai. Les autorités craignent l’activisme en leur sein de groupes armés minoritaires, pour partie liés au banditisme, animés d’objectifs locaux mais également en relation avec la mouvance djihadiste internationale.

Les oulémas (théologiens) sunnites d’Iran et différents groupes religieux, notamment les Frères musulmans et les cercles déobandis liés à l’Inde et au Pakistan, ont été mobilisés pour dissuader les glissements vers l’extrémisme. Dans le contexte des attentats de Paris, à l’automne 2015, un intense débat sur ces questions avait animé les revues intellectuelles de Téhéran (Ramz-e’obur, Mehrnameh, Iran-e Farda).

Riyad et Washington accusés

Mercredi, des Iraniens faisaient rapidement circuler sur les réseaux sociaux des appels à la solidarité internationale – espérant qu’un attentat de l’EI à Téhéran suscite à l’étranger, et notamment en Occident, une vague d’indignation proche de celle qu’a soulevé l’attaque de Manchester, au Royaume-Uni, le 22 mai, plutôt que le relatif silence qui avait suivi celle de Kaboul, le 31 mai, que l’EI n’a pas revendiquée.

Sur les réseaux sociaux, de nombreux Iraniens ont promptement lié l’Arabie saoudite, grand rival régional de l’Iran, à ces attaques. En fin de journée dans un communiqué diffusé par l’agence ISNA, les Gardiens de la révolution ont eux-mêmes estimé que le royaume saoudien et leur allié américain étaient « impliqués » dans l’attaque.

Il y a là une forme de rhétorique classique : les autorités iraniennes considèrent l’EI comme une création des Saoud et de l’ennemi américain, visant à semer le chaos chez ses alliés irakiens et syriens et dans l’ensemble de la région. Cependant, les Gardiens soulignent le durcissement du discours saoudien vis-à-vis de l’Iran depuis le sommet de Riyad, qui s’est tenu le 21 mai.

Le président américain, Donald Trump, y avait promis d’isoler l’Iran, aux côtés de ses alliés du Golfe et d’une large assemblée de dirigeants de pays musulmans. Il définissait un nouvel « axe du mal », responsable, selon lui, du terrorisme et de la violence au Moyen-Orient, dans lequel il incluait l’EI et Téhéran. « Cette action terroriste après la rencontre du président des Etats-Unis avec le chef d’un des gouvernements réactionnaires de la région qui a toujours soutenu les terroristes est lourde de sens », notent les Gardiens dans leur communiqué.

Contexte régional tendu

Tout juste réélu, M. Rohani avait minimisé les conséquences du sommet de Riyad : il estimait que l’administration américaine n’avait pas encore une vue claire de la région, tandis que son ministre des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, affirmait que ce voyage était avant tout l’occasion pour les Etats-Unis de vendre des armes – un montant de 110 milliards de dollars (près de 100 milliards d’euros) de contrats d’armement avait été annoncé à Riyad. Mercredi soir, le président Rohani a sobrement appelé « à l’unité et à la coopération régionale et internationale pour lutter contre l’extrémisme et la violence ».

Cette attaque a lieu dans un contexte régional déjà tendu, après que l’Arabie saoudite a coupé, lundi 5 juin, ses relations diplomatiques et entrepris d’isoler économiquement le Qatar, accusé de soutenir le terrorisme dans la région, et d’entretenir une proximité dangereuse avec l’Iran. Riyad a été suivi par les Emirats arabes unis, l’Egypte, le Yémen, Bahreïn et les Maldives.

Dans le même temps, l’Iran affirmait qu’il soutiendrait le Qatar, avec lequel il partage la gestion du plus important gisement de gaz au monde. Des officiels iraniens affirmaient que les vols commerciaux de Qatar Airways, bannis de l’espace aérien de ses voisins arabes, passeraient par l’Iran. Un autre officiel avait évoqué des livraisons de nourriture au Qatar à travers le Golfe persique si le blocage des frontières terrestres de son voisin se maintenait.