Cela fait plusieurs mois qu’Alexandre Aïdara pense Macron, mange Macron, dort Macron, vit Macron. Un vrai sacerdoce. Il n’y a qu’à voir le modeste appartement d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, où il a élu domicile en octobre. Les lieux ressemblent davantage à un QG de campagne qu’à une résidence privée : la table du salon est entièrement recouverte de tracts, de pin’s et de dépliants à l’effigie de son champion, tandis que les murs sont tapissés d’affiches XXL du président de la République. Il présente désormais les tracts de campagne des élections législatives, sur lesquels son visage figure aux côtés de celui d’Emmanuel Macron.

Alexandre Aïdara, 49 ans, a été investi par La République en marche (LRM) dans la sixième circonscription du « 9.3 », à cheval sur Aubervilliers et Pantin. Un bastion de gauche aux mains de l’ancienne garde des sceaux Elisabeth Guigou, qui brigue un quatrième mandat. En 2012, la députée sortante avait fait carton plein en récoltant 100 % des suffrages au second tour (près de 46 % au premier), après le désistement en sa faveur de son challenger PCF, Patrick Le Hyaric. Un score qui, aux yeux du candidat LRM, appartient au passé.

Sur ces terres populaires, le PS ne fait plus recette. Malgré les sept candidats de gauche en lice, dont Nathalie Arthaud, de Lutte ouvrière, Alexandre Aïdara vit cette campagne avant tout comme un duel. Face à lui, un jeune homme doté d’un patronyme aussi inconnu du grand public que le sien : Bastien Lachaud, enseignant de 35 ans, candidat du mouvement La France insoumise, qui entend surfer sur le raz de marée mélenchoniste de la présidentielle (plus de 41 % au premier tour à Aubervilliers, contre 22,7 % pour Emmanuel Macron).

« Un modèle pour les jeunes »

Convaincre les quartiers populaires que La République en marche représentera leurs intérêts ? Pas facile. Comme à la présidentielle, l’image d’« Emmanuel Macron le banquier », loin des préoccupations des « petits », donne du fil à retordre.

Au-delà de l’« effet Macron », Alexandre Aïdara mise sur son propre parcours pour rallier les électeurs. Celui d’un Sénégalais issu de la petite classe moyenne – un père instituteur et une mère commerçante, à Louga, ville à l’ouest du Sénégal –, qui s’est hissé en haut de l’échelle sociale. Grâce à une bourse, il s’est envolé pour Strasbourg à l’âge de 18 ans, où il a étudié les mathématiques, avant de rejoindre Paris pour intégrer la prestigieuse école d’ingénieurs Centrale. Après dix années passées dans le privé, au sein de sociétés de conseil telles qu’Accenture, il se lance « un nouveau challenge » et passe le concours de l’ENA, qu’il réussit. A la sortie, il intègre la direction du budget, puis le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et enfin, le cabinet de la garde des sceaux, Christiane Taubira.

Alexandre Aïdara ne s’en cache pas : il veut être « un modèle pour les jeunes » et faire partie de cette « nouvelle génération ambitieuse pour le ’’9.3’’ » (comme l’indique son tract de campagne). « Moi aussi, j’ai vécu les discriminations : au logement, à l’entrée des boîtes de nuit… Des expériences assez terrifiantes. Je sais ce que c’est de se sentir méprisé et maltraité », raconte celui qui a mis près de dix ans à obtenir sa naturalisation française.

« Le 9.3, c’est l’un des endroits où tout se passe et se concentre »

Issu du Parti socialiste, auquel il avait adhéré au début des années 2000, cela faisait des années qu’il avait déserté le pavé. « Au PS, dit-il, pieds nus dans son salon, plus personne ne réfléchit, c’est l’encéphalogramme plat ».

La naissance d’En Marche ! lui donne un nouvel espoir. Emmanuel Macron, il l’avait à peine « croisé » une ou deux fois auparavant, au sein du club de réflexion progressiste Terra Nova : « Je l’avais identifié comme un homme brillant et empathique. » Les deux hommes se sont « véritablement » rencontrés lors d’un meeting organisé à Saint-Denis, le 30 mars, cinq mois après avoir rejoint les rangs du jeune parti et créé un premier comité local, à Aubervilliers, sa nouvelle adresse.

« Je ne voyais pas l’intérêt de rester dans le 9e arrondissement de Paris, raconte-t-il. Le 9.3, c’est l’un des endroits où tout se passe et se concentre. » Propulsé référent pour la Seine-Saint-Denis en janvier, il est officiellement investi aux législatives parmi les quatorze premiers, par Emmanuel Macron lui-même, sur le plateau de télévision de L’Emission politique, sur France 2, le 6 avril.

« C’est ma première campagne »

Flash-mob, stand-up « à la manière de Montebourg » (débout dans la rue avec une sono), distribution de tracts… Alexandre Aïdara déploie sa silhouette longiligne et ses bonnes manières à un train d’enfer. Ce jour-là, lors d’un « classique » porte-à-porte, il s’emploie à se faire connaître. Il démarre avec une touche de « proximité » qui fait son petit effet : « Je suis votre voisin, j’habite au ter. » « Je viens de la gauche », glisse-t-il ensuite, histoire de rassurer cet électorat historiquement favorable à la gauche. Avant d’abattre sa carte maîtresse – « Je suis le candidat d’Emmanuel Macron, c’est ma première campagne » – et d’enchaîner avec un optimisme débordant.

Pour Alexandre Aïdara, au pays merveilleux de La République en marche, la vie politique est « extraordinaire ». La campagne présidentielle du candidat Emmanuel Macron ? « Extraordinaire. » L’élan que sa victoire a suscité ? « Extraordinaire. » Les débuts du président Macron ? « Extraordinaires. Un sans-faute. » Ses premiers grands rendez-vous internationaux ? « Extraordinaires. Quelle fierté ! »

« Vous avez vu comment il a tenu tête à Trump et Poutine ? », fait-il valoir auprès de Nathalie, 42 ans, auto-entrepreneuse dans le marketing et la communication, encore hésitante. « Je suis d’accord pour réformer le code du travail, dit-elle, mais pas au profit des entreprises du CAC 40. Car, jusqu’à présent, ce sont eux les vainqueurs, pas les salariés. » Alexandre Aïdara s’empresse de mettre en avant l’une des mesures phares de La République en marche : l’assurance chômage universelle. Nathalie, « déçue » par « l’attitude de Jean-Luc Mélenchon [pour qui elle avait voté] depuis sa défaite au premier tour », qu’elle juge « hargneuse et pas constructive », promet d’y réfléchir.

Pour Medhi, 38 ans, machiniste à la RATP, c’est tout vu, même si, dit-il, « on joue au poker avec Macron ». « Je n’avais pas voté pour lui au premier tour, confie-t-il. Mais autant être cohérent et lui accorder une chance en lui donnant une majorité à l’Assemblée nationale. »