Un incident vient de rappeler que la question des droits d’auteurs dans le panorama urbain (architectes, sculpteurs, artistes urbains...), qui sera abordée dans les semaines à venir au Parlement européen, reste une question sensible en France. Le 4 juin, le street artist Christian Guémy, alias C215, faisait part de son indignation après le « détournement » de l’une de ses fresques réalisée dans le 13e arrondissement de Paris par les comptes Twitter et Facebook du comité local d’En Marche ! pour les législatives. Sur l’image utilisée sans son autorisation, le slogan « En Marche » avait même été superposé, à la manière d’un graffiti.

Engagé sur ce sujet, l’artiste défend justement les intérêts des arts graphiques devant la Commission européenne avec l’ADAGP, qui protège juridiquement les auteurs dans les arts graphiques et plastiques (comme le fait la Sacem pour les musiciens). Christian Guémy, qui est monté au créneau pour faire retirer son travail des outils de campagne du candidat d’En Marche ! a médiatisé cette histoire pour sensibiliser les élus comme le grand public sur les droits des artistes.

Pour Marie-Anne Ferry Fall, directrice de l’ADAGP, ce qui est arrivé à C215 est un cas d’école « qui montre comment les droits des artistes visuels sont bafoués face à la grosse moulinette d’Internet ». Le candidat d’En Marche !, Philippe Zaouati, a admis avoir obtenu la photographie sur Internet, mais plaidé la bonne foi. La page Facebook d’En Marche Paris 13 a ainsi concédé, en réponse à l’artiste : « Nous pensions (...) que ces images étaient dans le domaine public et non protégées. » Mais tout en reconnaissant sa faute, l’équipe d’En Marche ! a également fait valoir le fait que l’œuvre était visible dans l’espace public et que cela avait pu justifier à ses yeux une diffusion sans contraintes.

Législation jugée trop restrictive

« Bien sûr que ça appartient à l’espace public, mais ça ne donne pas des droits de propriété intellectuelles à n’importe qui », se défend C215. L’artiste reconnaît que les questions relatives au « droit de panorama » sont largement méconnues par le public, et souhaite mettre en avant cet exemple « pour qu’on ne puisse plus dire “je ne savais pas” ».

L’argumentaire d’En Marche ! se rattache précisément à une revendication grandissante vis-à-vis du droit de panorama. Ce droit, appliqué diversement selon les pays, est une entorse au droit d’auteur. Aussi appelé par ses défenseurs « liberté de panorama », il permet d’utiliser librement, sans autorisation ou versement de droits, des images de bâtiments ou d’œuvres présentes dans l’espace public. Or, dans la législation française, les œuvres artistiques et architecturales sont couvertes par le droit d’auteur jusqu’à soixante-dix ans après la mort de l’artiste. Durant cette période, les ayants-droits peuvent s’opposer à la diffusion des œuvres, ou demander des compensations financières si elles sont utilisées à des fins commerciales.

Plusieurs acteurs ont tenté d’assouplir cette législation jugée trop restrictive. C’est le cas de l’association Wikimédia, dont la mission est d’accroître le nombre de contenus libres disponibles en ligne, en particulier pour alimenter l’encyclopédie gratuite en ligne Wikipédia, sous l’égide de l’économie du partage.

Un « marché unique numérique »

Au Parlement européen, cette initiative a été soutenue par la députée allemande du Parti Pirate Julia Reda, qui avait plaidé à l’été 2015 pour une application stricte du droit de panorama – sur le modèle allemand – dans l’ensemble de l’Union Européenne. Le Parlement avait rejeté cette proposition au nom du principe de subsidiarité, selon lequel l’harmonisation n’est pas nécessaire si la diversité des législations nationales ne nuit pas aux échanges.

Toujours en 2015, l’association Wikimédia avait déposé en France un amendement en faveur du droit au panorama dans le projet de loi participatif pour une République numérique de la secrétaire d’Etat Axelle Lemaire. Finalement votée en octobre 2016, la loi a bien ouvert par son article 39 une exception au droit d’auteur, mais qui reste limitée : la liberté de panorama a été accordée pour les seules personnes physiques – excluant de fait, au-delà des utilisations commerciales, les partis politiques ou les associations.

L’ADAGP avait alors salué un « sage compromis » car il résolvait, selon Marie-Anne Ferry Fall, « le problème épineux des réseaux sociaux », dont les utilisateurs partageant des photos d’œuvres de l’espace public pouvaient jusqu’alors (aux yeux de la loi en tout cas) être poursuivis pour des questions de droits d’auteurs.

Une nouvelle étape a débuté a niveau européen en septembre 2016, puisque la Commission a déposé un projet de directive portant sur « les droits d’auteurs dans le marché unique numérique », et qui permettrait notamment « un plus grand choix et un accès amélioré, et transfrontière, aux contenus en ligne » . Le travail des commissions doit commencer cet été. Après l’examen des quelque 600 amendements de son rapport, un texte de compromis doit être voté par le Parlement à la rentrée, et reprendre la direction de la Commission. La directive amendée pourrait ensuite être définitivement votée par le Parlement à la fin de l’année.

« Protéger la richesse culturelle plutôt que la voler »

Pour le Parti Pirate, la période d’amendement de la directive est l’occasion de « remettre sur la table l’exception de panorama, et de rayer au niveau européen les droits d’auteurs des artistes exposant dans l’espace public », analyse Marie-Anne Ferry Fall. Une intention que récuse Thomas Watanabe-Vermorel, le porte-parole français du Parti Pirate. Il déplore que « la position des Pirates soit vue comme une tentative d’oppresser les artistes, et les plus faibles. »

Selon lui, dans le cadre d’œuvres exposées dans l’espace urbain, « il y a forcément un moment où les droits entrent en conflit » entre des usagers qui revendiquent leur liberté d’action dans le domaine public et des artistes qui « s’approprient une vue ». «  Sans le droit de panorama, je n’ai pas de droits complets sur ma photo », résume-t-il. Le Parti pirate, tout en défendant le droit des artistes à contrôler les utilisations de leur production, considère qu’à partir du moment où la fresque est dans l’espace public, ces derniers « doivent abandonner la suprématie sur leurs œuvres » sur le plan financier.

Sur cette question des droits d’auteur, l’eurodéputé français Jean-Marie Cavada (Génération Citoyens) souhaite l’harmonisation inverse. Lors de la dernière bataille sur la question, à l’été 2015, il avait d’ailleurs déposé un amendement afin de restreindre la liberté de panorama aux usages non-commerciaux au niveau européen. Selon lui, « la position française sur le droit de panorama n’est pas une exception, car on la retrouve en Italie ou en Belgique, elle peut donc servir de base à une harmonisation. » Et le combat ne doit pas être mené contre les usagers, mais d’abord viser à « protéger la richesse culturelle européenne des plateformes en ligne, qui sont des tuyaux avec des besoins de contenus, mais qu’ils ne peuvent pas voler. » Une position que ne contredira pas C215.