Législatives au Royaume-Uni : « Et maintenant, au travail ! », déclare Theresa May après avoir rencontré la reine
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Theresa May avait décidé, le 18 avril, la tenue d’élections législatives anticipées afin d’asseoir son autorité en vue des négociations sur le Brexit. Mais, jeudi 8 juin, les conservateurs ont perdu leur majorité absolue au Parlement. La première ministre britannique a cependant réussi, vendredi, à conclure un accord avec le Parti unioniste démocrate (PUD), le petit parti nord-irlandais, ce qui lui permet d’obtenir une majorité suffisante pour former un gouvernement. Philippe Bernard, correspondant du Monde à Londres, a répondu, dans un tchat, aux questions des internautes sur ces résultats et leurs conséquences. En voici les principaux extraits.

Yulimo29 : Est-ce que ces résultats fragilisent la légitimité de Theresa May ?

Philippe Bernard : La réponse est oui, et lourdement. Rien n’obligeait Theresa May à organiser des élections anticipées ce 8 juin. Elle l’a fait par pure tactique : pour asseoir son autorité sur les conservateurs avant l’ouverture des négociations sur le Brexit et aussi parce qu’elle craignait qu’à la date normale prévue de 2022, les effets économiques négatifs de la sortie de l’UE rendent son gouvernement impopulaire. Elle promettait de gagner des dizaines de sièges ; elle en a perdu douze, perdant au passage la majorité absolue qu’avait conquise son prédécesseur, David Cameron.

Anti : Le pari de Theresa May d’organiser ces élections anticipées était-il vraiment risqué ?

La première ministre a pensé qu’elle ne prenait aucun risque en annonçant, le 18 avril, la tenue d’élections législatives anticipées. A l’époque, les sondages créditaient les conservateurs de plus de 20 points de pourcentage d’avance sur les travaillistes. Elle a elle-même évoqué la perspective de gagner des dizaines de sièges. C’est pourquoi le parti lui en veut aujourd’hui. Elle a mené une campagne quasi présidentielle entièrement centrée sur sa personne – ce qui n’est pas l’usage au Royaume-Uni –, affirmant qu’elle seule avait la stature pour négocier un « bon accord » avec l’UE. L’effet boomerang est donc à la hauteur de ce pari sur sa personne fait par Theresa May.

Joe6pack : Même si Theresa May est prête à s’allier avec le DUP pour conserver sa place, sa position est-elle tenable ?

Après un entretien à Buckingham avec la reine, Theresa May a bien confirmé qu’elle allait former un nouveau gouvernement avec le Parti unioniste démocrate (DUP), un parti d’Irlande du Nord pro-Brexit qui milite pour le maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni. Mais la BBC elle-même souligne que la première ministre est fragilisée et que cet attelage pourrait ne pas durer. Le moment de vérité aura lieu mardi 13 juin au Parlement. Sur le papier, Theresa May peut obtenir arithmétiquement la majorité. Mais il n’est pas sûr que son propre parti la laisse aux commandes après cette catastrophe. En effet, il ne manque pas de ministres pour convoiter sa place. Beaucoup de choses peuvent encore se passer dans les jours qui viennent. Les élus du parti, des ministres, des membres de son entourage sont furieux. Il n’est pas sûr que son nouveau gouvernement survive longtemps.

vlf : La nécessité de s’allier avec le DUP ne va-t-elle pas entraîner des complications lors des discussions sur la « stratégie inventive » pour éviter une frontière entre l’Ulster et la république d’Irlande après la sortie de l’UE ?

C’est possible, car le DUP a appelé à voter pour le Brexit et veut le maintien dans le Royaume-Uni. Le corollaire de ces deux positions est le retour à une « frontière dure ». Pour avoir été en reportage en Irlande, je suis sceptique sur la « stratégie inventive ». Je ne vois pas comment l’UE pourrait accepter que l’Irlande du Nord devienne une sorte de sas pour l’entrée illégale des marchandises et des personnes en république d’Irlande, autrement dit dans l’Union.

Plouf : Jeremy Corbyn ressort-il grandi de ce scrutin ?

Très nettement, vu le mépris dont le travailliste faisait largement l’objet de la part des médias et de Theresa May. C’est une belle revanche pour celui que les députés de son propre parti ont longtemps considéré comme un « loser ». En mettant la barre à gauche, il a mobilisé les jeunes et a recueilli 40 % des voix, soit 10 points de plus que son prédécesseur modéré Ed Miliband en 2015.

Arnonyme : Le résultat du Parti national écossais va-t-il remettre en cause le référendum sur l’indépendance voulu par Nicola Sturgeon ?

Oui, le Parti national écossais (SNP, indépendantiste) qui avait gagné, en 2015, 56 des 59 sièges dévolus à l’Ecosse au Parlement de Westminster en a perdu 21, jeudi 8 juin, au profit des conservateurs, du Labour et des LibDems. De manière emblématique, Alex Salmond, l’ex-leader du SNP, et Angus Robertson, le chef du parti au Parlement, ont été battus. Le SNP reste pourtant de loin la première force politique en Ecosse. Mais la stratégie de sa cheffe Nicola Sturgeon est fragilisée. Celle-ci s’appuie sur le fait que, contrairement aux Anglais et aux Gallois, les Ecossais ont rejeté le Brexit (62 % ont voté contre).

Elle refuse que la région soit contrainte par les Anglais à sortir de l’UE. La seule solution pour en sortir, selon elle, est l’indépendance. D’où sa revendication d’organiser un deuxième référendum après celui que les indépendantistes ont perdu en 2014 (55 % des voix pour rester dans le Royaume-Uni). Le revers électoral subi jeudi par le SNP aux législatives fragilise cette stratégie. Les partis qui ont pris des sièges au SNP sont en effet hostiles à l’indépendance.

Patrique : Pourquoi ne souligne-t-on pas l’échec des principaux partis anti-Brexit (LibDem, SNP, Verts) ?

Il est probablement artificiel de tirer cette conclusion, car le Brexit n’a pas du tout été un sujet majeur de la campagne électorale. Mais ce qui est sûr c’est que le discours anti-Brexit des LibDems n’a absolument pas trouvé d’écho, pas plus que la promesse d’organiser un nouveau référendum sur l’accord conclu avec l’Union européenne (UE). D’après les enquêtes d’opinion, la moitié des électeurs ayant voté pour rester dans l’UE (donc la moitié des 48 % de « remainers ») acceptent désormais l’idée que le pays va sortir de l’Union. Quant au SNP, il est vrai qu’il est proeuropéen. Mais dans la motivation des gens qui l’ont abandonné jeudi, il est impossible de mesurer le poids de l’Europe et celui de l’indépendance écossaise.

Nathan : Qu’en est-il du parti d’extrême droite UKIP ?

Le leader du UKIP, Paul Nuttall, a annoncé sa démission dès jeudi matin : « Une nouvelle ère doit commencer, avec un nouveau leader », a-t-il déclaré. Il a essuyé un échec retentissant à Boston (est de l’Angleterre), l’une des villes où le Brexit – la revendication phare du UKIP – a été maximum l’an dernier. Pour le UKIP, la dégringolade est sévère : il avait obtenu 3,8 millions de voix en 2015 ; il en a recueilli moins de 600 000 cette fois. Il faut également noter qu’il avait choisi de n’être présent que dans un nombre limité de circonscriptions. Theresa May espérait profiter de ce retrait – c’est l’une des raisons pour lesquelles elle a tenu un discours très dur sur le Brexit – en captant les voix du UKIP. Cela n’a pas fonctionné. Le parti était déjà en crise avant l’élection. Des observateurs se demandent à quoi il sert depuis que le Brexit a été voté. Paul Nuttall avait tenté de le relancer par des discours xénophobes et islamophobes en s’appuyant sur l’émotion causée par les attentats de Manchester (le 22 mai) et de Londres (le 22 mars et le 3 juin). On voit aujourd’hui le résultat…

Shouryuu : Le Brexit pourrait-il se transformer en « Brex-in » ?

Ces élections, qui étaient censées renforcer la position de Theresa May, ont produit l’effet inverse. Les négociations sur le Brexit, qui devaient débuter le 19 juin, vont très probablement être retardées et la position du Royaume-Uni face aux 27 Etats membres de l’UE affaiblie. Mais il n’est nullement question de revenir sur le Brexit, qui a été voté l’an dernier par référendum (51,9 %) et non par le Parlement. D’ailleurs, le Labour a fait campagne en répétant qu’il acceptait le Brexit et promet simplement d’en adoucir les effets en tentant d’obtenir l’accès au marché unique européen pour préserver l’emploi.

Fred Potage : Ces résultats peuvent-ils avoir un impact sur les négociations du Brexit ?

Oui, ils affaiblissent les Britanniques et risquent de retarder la négociation sur le Brexit, ce qui n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les 27 Etats membres de l’UE. Car les incertitudes perturbent l’économie et aussi la vie des citoyens : pensez, par exemple, au statut incertain des expatriés.

Pier : Un nouveau référendum sur le Brexit va-t-il être organisé ?

Non, c’est plus qu’improbable à ce stade. Le seul parti qui défend cette idée, le Parti libéral démocrate, a certes gagné quatre sièges (après une bérézina en 2015), mais il ne représente que 7 % des voix. Le Labour, principal parti d’opposition, était contre le principe du référendum et contre le Brexit. Mais 37 % de ses électeurs ont voté pour le Brexit, surtout dans les quartiers populaires du nord de l’Angleterre. Pour ménager tout le monde, le Labour a donc décidé d’accepter le Brexit – y compris la fin de la libre circulation des Européens –, mais il promet de défendre l’accès au marché unique pour éviter les dégâts sur l’emploi. D’ailleurs, la position de Jeremy Corbyn, qui a longtemps considéré l’UE comme un « club capitaliste » est ambiguë. Pendant le référendum, il a vraiment fait le service minimum pour défendre le maintien dans l’UE.