Pochette du livre « A l’œil nu, Paul Verhoeven », d’Emmanuel Burdeau. | CAPRICCI

La carrière de Paul Verhoeven est l’histoire d’un itinéraire typiquement hollywoodien : d’abord cinéaste dans son pays d’origine, la Hollande, l’homme s’exile à Hollywood, où il poursuit dans le même état d’esprit sa filmographie tout en acceptant les commandes. Ce sera RoboCop (1987), Total Recall (1990), Basic Instinct (1992), Showgirls (1995) et Starship Troopers (1997). Lorsqu’il réalise Hollow Man (2000), le système reprend ses droits et manque d’engloutir le réalisateur, qui décide de retrouver la Hollande et sa liberté. Il y réalise Black Book (2006), ainsi que Tricked, sorti quatre ans plus tard et financé en crowdfunding pour une diffusion aux Pays-Bas. Dix ans plus tard, le Français Saïd Ben Saïd lui proposera d’adapter un roman de Philippe Djian. Ce sera Elle (en 2016), qui relance l’engouement critique et public.

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Dans A l’œil nu, un livre d’entretiens accordés au journaliste de Mediapart Emmanuel Burdeau, Paul Verhoeven revient sur ce parcours qu’il évoque sans amertume. A 78 ans, l’homme est bien trop occupé par ses innombrables projets pour avoir des regrets : un film en cours de production avec Virginie Efira et une longue liste de biopics sur Jésus, Jeanne d’Arc, Jean Moulin, pour n’évoquer qu’eux. Malgré ce foisonnement, on ne peut qu’être pris d’une sorte de mélancolie à la lecture de ces entretiens qui rappellent à beaucoup d’égards le magnifique Conversations avec Douglas Sirk (1997),de l’historien anglais Jon Halliday. Deux livres qui déploient une même vision du ci­néaste en artiste frustré, pris entre ses désirs et les exigences d’une industrie cinématographique trop souvent frileuse.

« Cinéaste du visible »

La liste des projets avortés et à venir sera toujours infiniment plus longue que celle des films bel et bien réalisés ; faire parler un cinéaste âgé consiste donc toujours à recoller les morceaux d’une filmographie fantôme et fantasmée.

Dans un court essai incisif qui précède l’entretien, Emmanuel Burdeau qualifie Verhoeven de « cinéaste du visible » : « Sous l’image, il n’y a rien. Rien à penser, rien à voir. » Dès lors, que soutirer comme analyse à un cinéaste qui fait tout affleurer à la surface du plan jusqu’au mode d’emploi critique ? Cet « empire du visible » qui est à l’œuvre chez Verhoeven n’épuise pourtant pas le secret des films. L’auteur n’essaye donc jamais de percer trop naïvement le mystère, d’extorquer une quelconque théorie à un cinéaste qu’il sait parfaitement hollywoodien, c’est-à-dire mi-artisan mi-intellectuel, qui se garde bien de livrer le fin mot de ses histoires. En ce sens, l’homme ressemble à son œuvre : il se confie volontiers, sans fausse pudeur, mais le mystère de l’artiste, lui, reste intact.

« A l’œil nu, Paul Verhoeven », d’Emmanuel Burdeau, éditions Capricci. 176 p., 16 euros. www.capricci.fr