Le président Michel Temer le 9 juin à Brasilia. | UESLEI MARCELINO / REUTERS

Donné politiquement mort, le président brésilien, Michel Temer, a obtenu un sursis, vendredi 6 juin. Au terme de quatre jours de débats marqués par les invectives polies, les juges du Tribunal supérieur électoral (TSE) de Brasilia ont décidé, à une courte majorité (quatre contre trois) de ne pas casser le mandat du chef d’Etat, suscitant l’amertume d’une partie du pays.

« La décision de justice sans doute la plus impopulaire de l’histoire récente », commentait Cesar Felicio, éditorialiste au quotidien des affaires Valor. « Un festival de sophismes a absous Michel Temer », raillait Miriam Leitao dans le journal O Globo. Une « farce de plus », résumait encore Raquel Landim dans la Folha de Sao Paulo.

Utilisation d’argent sale

La justice électorale devait se prononcer sur la régularité des comptes de la campagne présidentielle de 2014, que Michel Temer du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre), a menée au côté de Dilma Rousseff du parti des travailleurs (PT, gauche). La présidente de gauche ayant été destituée en 2016 suite à une procédure d’« impeachment » (mise en accusation), c’est le mandat de Michel Temer, son ex vice président, devenu chef d’Etat, qui était en jeu.

La course à la présidence de 2014 est empreinte de soupçons d’utilisation d’argent sale issu de la corruption. Le rapporteur de ce dossier explosif au sein du TSE, Herman Benjamin, en a longuement fait état. A quelques heures du scrutin décisif, le magistrat évoquait encore l’utilisation de caisse noire alimentée par le « département pots-de-vin » du groupe de Bâtiment et travaux publics, Odebrecht, acteur clé du scandale tentaculaire mis au jour par l’opération judiciaire « Lava-Jato » (lavage express).

Mais une majorité de juges n’a pas souhaité verser au dossier les témoignages d’Odebrecht, fermant ainsi les yeux sur les derniers rebondissements d’une enquête qui éclabousse la quasi totalité des partis politiques. Le président du TSE, Gilmar Mendes, ouvertement favorable à Michel Temer, a expliqué : « il faut modérer notre chasse acharnée car, de fait, vous mettez en jeu une autre valeur, celle d’un mandat ».

Le TSE ne veut pas être responsable

Le vote du TSE intervenait dans un contexte troublé par la révélation, mi-mai, d’une conversation embarrassante tenue entre Michel Temer et Joesley Batista, richissime entrepreneur et corrupteur notoire de Brasilia. La teneur des propos échangés, enregistrés à l’insu du président, a donné lieu à l’ouverture d’une enquête de la Cour suprême pour « obstruction à la justice », « participation à une organisation criminelle » et « corruption passive ».

Jouant la sérénité, le TSE s’est isolé de cette actualité. Soucieux d’éthique mais chavirés par la responsabilité de plonger le pays dans un trou noir politique, les juges fébriles – l’un d’eux a évoqué Ponce Pilate décidant de crucifier Jésus – ont opté pour le statu quo mettant un holà à l’emballement médiatico-judiciaire des dernières semaines. Le Brésil est marqué par l’instabilité. « C’est cela que l’on veut ? », a dit M. Mendes.

Mais loin d’apaiser la situation, ce vote pourrait l’envenimer. « Le TSE a sauvé le gouvernement Temer et son agenda de réformes, mais il va provoquer le désenchantement des Brésiliens accentuant le divorce entre le monde politique et la société », commente Paulo Baia, politologue, professeur à l’université fédérale de Rio de Janeiro.

Doutant peu de la probité de l’élite qui les gouverne, les Brésiliens pourraient voir derrière le TSE « une union sacrée » de politiciens tentant de se protéger de « Lava-jato », poursuit M. Baia.

Amertume à gauche

Ce scrutin pourrait aussi alimenter la rancoeur des militants de gauche, écoeurés par l’« impeachment » de Dilma Rousseff qu’ils qualifient de « coup d’Etat ». Car en innocentant Michel Temer, le TSE a aussi levé les accusations visant la dauphine de Lula, renforçant la polémique sur les motivations profondes de sa destitution.

Spectateurs impuissants de ce feuilleton politique, les Brésiliens dépités, n’ont pourtant que mollement réagi à la décision du TSE vendredi. « Il y a une forme de fatigue. Une fatigue inquiétante car c’est aussi une fatigue de la démocratie », observe Laurent Vidal, historien professeur invité à l’université fédérale de Rio de Janeiro.

« Le Brésil est entré dans une crise bien plus profonde qu’il n’imagine », souligne Norman Gall, de l’institut Braudel, think tank de réflexions économiques basé à Sao Paulo.

Le TSE, de facto, n’a pas mis fin à l’instabilité politique provoquée par les ennuis judiciaires de Michel Temer. Une dizaine de demande d’impeachment le vise et l’enquête de la Cour suprême suit son cours et pourrait conduire à sa mise en examen. Pour échapper à une suspension immédiate de son mandat, le président devrait avoir l’appui d’un tiers des députés. Une gageure tant les indices compromettants s’accumulent contre lui.

La chute du gouvernement ?

Le PSDB, allié stratégique du gouvernement au Congrès menace désormais très sérieusement de lâcher ce président devenu indéfendable, même s’il promet de soutenir son agenda de réformes économiques au nom du « bien de la société ».

« Pour qu’un gouvernement tombe il faut qu’il perde sa crédibilité, sa popularité, sa majorité parlementaire et le soutien des marchés. De ces données, seule la dernière est encore véritablement favorable à Temer », commente une source proche du PSDB.

Soulagé par le vote du TSE, Michel Temer a décidé, de son côté, de repousser le vote des réformes, placées dans un « bain-marie », selon les indiscrétions du quotidien Folha de Sao Paulo, pour se dédier entièrement à sa survie politique. Vendredi, il s’est dit victime d’« abus » et d’« agressions » de la part de la police fédérale.