Jeux vidéo : Electronic Arts, un éditeur de plus en plus engagé politiquement
Jeux vidéo : Electronic Arts, un éditeur de plus en plus engagé politiquement
Par William Audureau
A l’Electronic Entertainment Exposition (E3), l’éditeur américain Electronic Arts a promis 1 million de dollars à des associations luttant contre l’inégalité des chances.
Electronic Arts a annoncé 1 million d’euros pour aider des associations de soutien aux femmes et aux minorités. | CHRISTIAN PETERSEN / AFP
C’est une annonce pour le moins inhabituelle à laquelle s’est livré Electronic Arts (EA), numéro 1 mondial du jeu vidéo sur consoles, lors de sa conférence samedi 10 juin en amont de l’Electronic Entertainment Exposition (E3). Non pas une annonce de jeu, mais de dons : 1 million de dollars répartis entre trois associations américaines de lutte contre l’inégalité des chances et la discrimination, United Nations HeForShe, Pacer’s National Bullying Prevention Centerm, and Ditch the Label. Une manière pour Andrew Wilson, le président-directeur général australien de l’entreprise, d’afficher son soutien à « un monde du jeu vidéo inclusif ».
Dans une industrie qui a longtemps tenté de se présenter comme apolitique, cette revendication de valeurs démocrates marque une nouvelle étape dans la responsabilisation de la filière, trois ans après ce qu’une polémique en ligne, baptisée « GamerGate », a révélé les tensions entre des militants progressistes et des joueurs se disant nostalgiques du politiquement incorrect.
« Chacun d’entre vous – nos millions de joueurs un peu partout dans le monde – a montré son soutien », a assuré Andrew Wilson, en référence aux 5,7 millions de joueurs ayant pris part à des défis virtuels adossés à une opération de sensibilisation, lors d’un week-end spécial du 2 au 4 juin.
Electronic Arts, nouveau chevalier blanc des minorités ? L’idée peut surprendre, au vu du passé peu reluisant de l’entreprise californienne, élue deux années de suite pire entreprise des Etats-Unis en raison de son management chaotique. Mais cinq ans et un changement de président plus tard, l’image que donne l’éditeur de FIFA et Battlefield a bien changé. Sur son site officiel, l’entreprise met en avant ses initiatives : participation aux Girls4GamesDays, des journées portes ouvertes dans les studios de jeux vidéo pour les femmes ; participation à des cercles de discussion inclusifs, tenue de manifestations « EA Pride », etc.
Orientation interne et externe
L’engagement politique d’Electronic Arts en faveur des minorités n’est pourtant pas nouveau. EA apparaît depuis 2014 dans la liste de l’ONG Human Rights Campaign des meilleures entreprises où travailler pour les personnes LGBT. De 2013 à 2016, la direction des ressources humaines a été en partie allouée à Andre Chambers, ancien de Microsoft Londres promu « responsable mondial de la diversité et de l’inclusion ». Rien que pour 2013, Electronic Arts a sponsorisé sept marches LGBT dans le monde, et accueilli Full Spectrum, un événement sur l’intégration des minorités sexuelles.
Ce qui relève depuis plusieurs années d’une politique interne transparaît même désormais dans les jeux. Après avoir introduit des équipes féminines dans FIFA 15, EA Sport a intégré un héros métis fictif, Alex Hunter, dans FIFA 16. De son côté, Battlefield 1 consacre un chapitre à une espionne arabe, tandis que son extension dédiée à l’armée russe mettra en avant une snipeuse. Le prochain titre phare de l’éditeur, Star Wars Battlefront II, devrait par ailleurs avoir une femme rebelle comme héroïne.
« L’égalité des droits est très importante pour nous », corrobore Marcus Nilsson, producteur exécutif du futur jeu de course Need for Speed, au casting lui aussi inclusif. Une position qui est de plus en plus commune chez les grands éditeurs, à l’image du français Ubisoft, qui a également infléchi ses productions vers une meilleure représentation des femmes et des minorités visibles dans ses derniers jeux.
Pionnier « des histoires de tolérance »
Electronic Arts a même été un pionnier du domaine, notamment dans la question de la tolérance sexuelle. Avec les productions d’un de ses studios phares, le canadien Bioware, à travers sa série de jeux de rôle Mass Effect, dès les années 2000. « Mass Effect, c’est pas des histoires de guerre : c’est des histoires de tolérance, d’acceptation, de courage et d’entraide », expliquait au Monde Lisa Durel, administratrice d’un site de fans de la série, Mass Effect France.
La sensibilisation à ces thématiques s’est faite de manière progressive. Après un premier jeu au public très masculin à la fin des années 1990, Bioware lance Neverwinter Nights (2002), pour lequel il décide d’aller à la rencontre de ses joueurs, et, audace pour l’époque, de ses joueuses. Mass Effect met l’accent sur les rapports entre les personnages, ce qui, pour son producteur Fabrice Condominas, « est devenu une image de marque. Et plus cette image de marque s’accentuait, plus on a exploré de nouveaux aspects de ces relations, plus on est allé vers des relations intimes, puis vers les questions de sexualité ».
En dépit de ce long héritage, le chemin semble encore bien long. Au niveau du public, d’abord : la salle majoritairement masculine a copieusement sifflé l’unique femme montée à la tribune. Mais au niveau de l’entreprise elle-même : comme l’ont remarqué plusieurs férus de jeux vidéo sur les réseaux sociaux, Electronic Arts conserve un double discours. Alors que de plus en plus de femmes accèdent à des postes importants, ce sont des hommes qui ont présenté la conférence du début à la fin.