Une girafe du Kordofan dans le parc national de la Garamba, en République démocratique du Congo (RDC). | Thomas Nicolon

Visiter le parc national de la Garamba est un voyage à haut risque. Dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), à la frontière avec le Soudan du Sud, le parc est situé dans l’une des zones les plus dangereuses d’Afrique. La faute à un mélange explosif de braconniers lourdement armés, de groupes rebelles et d’une biodiversité chèrement négociée sur le marché noir.

Au cœur de ce biotope unique en Afrique centrale – une savane parsemée d’îlots de forêt dense –, les dernières girafes du Congo subsistent tant bien que mal. Plutôt mal que bien. Au nombre de 46, elles appartiennent à une sous-espèce récemment identifiée : la girafe du Kordofan (Giraffa camelopardalis antiquorum), dont l’aire de répartition s’étend principalement sur des zones ravagées par des conflits. Il ne reste aujourd’hui que 3 000 individus dans la nature. A Garamba, une véritable course contre la montre est engagée pour tenter d’éviter leur extinction.

« Habitat atypique »

« Rien ne me prédestinait à étudier les girafes, explique le biologiste Mathias D’haen, qui a élu domicile dans le parc pour six mois. Mais leur situation extrêmement préoccupante est un défi fascinant. La population de Garamba est étonnante : même à leur pic documenté, ces girafes n’atteignaient que 300 individus – c’était en 1976. Ce chiffre porte à croire que nous avons ici un habitat atypique pour cette espèce. Un environnement dans lequel elles ne peuvent pas prospérer comme dans d’autres pays d’Afrique. »

Des rangers patrouillent dans le parc national de la Garamba (RDC) pour protéger les dernières girafes du Kordofan ainsi que les scientifiques qui les étudient et tentent de les sauver de l’extinction. | Thomas Nicolon

Mathias D’haen étudie les dynamiques de population des girafes. Une tâche difficile, compte tenu de l’immensité du parc, la faible densité d’animaux et l’indigence des infrastructures routières. Il passe souvent plusieurs jours en brousse, à la recherche de girafes. La plupart du temps, il doit se contenter de crottes ou de traces de sabots laissées dans la terre meuble de Garamba. Alors, lorsque les majestueux ongulés se montrent, c’est une apparition quasi divine. « C’est une chance inouïe d’observer un animal si rare dans son milieu naturel. » Grâce à ses observations et aux données collectées, le jeune biologiste veut répondre à la question suivante : pourquoi la population de girafes dans Garamba n’augmente-t-elle pas comme espéré ?

La faible densité d’acacias, qui constitue une grande partie du régime alimentaire des girafes, est un élément de réponse. « Avec une source de nourriture si rare, les troupeaux de girafes sont plus petits, afin d’éviter la compétition alimentaire. Cela les rend aussi plus vulnérables aux lions et aux hyènes. »

Braconnage intensif

Le braconnage est venu remuer le couteau dans la plaie. Durant de longues années, les girafes n’étaient pas visées. « Une croyance locale veut que leur viande transmette la lèpre », explique Kate Spies, chargée de la recherche pour l’ONG sud-africaine African Parks, qui gère Garamba en partenariat avec l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN). Mais, au cours des trente dernières années, l’arrivée de braconniers étrangers et d’une demande plus globale n’a épargné aucune espèce. Une girafe peut fournir jusqu’à 300 kg de viande, pour un prix de vente d’environ 70 dollars le kilo (62,50 euros le kilo). Une source de revenu dont il est difficile de se priver, alors que la RDC affiche un PIB par habitant de moins de 800 dollars, l’un des plus bas de la planète.

En 2008, il restait encore 120 girafes dans la Garamba. Un déclin en chute libre qui concerne toute l’Afrique. En 2016, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a classé toutes les sous-espèces de girafes dans la catégorie « vulnérable » de sa liste rouge. En trente ans, les girafes ont subi une diminution de 40 %. Une « extinction silencieuse », selon les experts, qui appellent à une prise de conscience générale. Pour la direction du parc national de la Garamba, cela passe par un renforcement de la sécurité.

Garamba s’étend sur presque 5 000 km2. L’équivalent d’un département français. Une surface difficilement contrôlable, qui est devenue le refuge du groupe rebelle ougandais Armée de résistance du Seigneur (LRA), mais également un terrain de chasse lucratif pour braconniers aussi bien locaux que Sud-Soudanais.

Photographie aérienne prise en ULM, le seul moyen fiable d'observer les déplacements des girafes du Kordofan dans le parc national de la Garamba, en République démocratique du Congo (RDC). | Thomas Nicolon

Alors le moindre déplacement s’effectue sous escorte. Scientifiques, journalistes et touristes doivent être accompagnés en permanence de plusieurs gardes armés. Une précaution justifiée : le 11 avril, deux rangers ont été tués lors d’un accrochage avec des braconniers. En avril 2016 Erik Mararv, directeur du parc, approche une carcasse d’éléphant avec plusieurs rangers lorsque les balles commencent à siffler. Une embuscade. Bilan : trois rangers tués et une balle dans la jambe pour M. Mararv, évacué d’urgence vers l’hôpital militaire de Bangui, en Centrafrique, puis vers l’Afrique du Sud pour un mois de rééducation.

« Ce genre de choses peut arriver tous les jours, relativise Erik Mararv. Malheureusement tout le monde est perdant : les rangers, les braconniers et les éléphants. Le seul gagnant, c’est l’acheteur d’ivoire, dans son salon, de l’autre côté de la planète. Les braconniers ne sont que le produit d’un système de masse. Leur but est de faire vivre leur famille. »

Rafales de kalachnikovs

La multiplication des incidents a obligé l’ICCN à davantage d’investissement dans la formation des rangers. C’est là que l’expertise d’African Parks porte ses fruits. Grâce à des moyens financiers dont la structure congolaise ne pouvait que rêver, l’ONG permet aux rangers de mieux faire face aux différentes menaces. Des soldats venus de Grande-Bretagne, d’Afrique du Sud ou de France leur assurent une formation de combat. De nouvelles armes ont également été achetées. Aujourd’hui, Garamba ressemble davantage à une base militaire qu’à un havre de conservation. Les scientifiques se font rares, mais les rafales de kalachnikovs, tirées dans le centre d’entraînement à deux pas de la station, se font entendre toute la journée.

« C’est une nécessité, explique le chef de site adjoint Al-Hadji Somba Byombo. La priorité aujourd’hui est de sécuriser la zone, et notamment cette frontière avec le Soudan du Sud. Une fois cet objectif atteint, nous pourrons attirer davantage de touristes et de scientifiques. »

Les progrès sont déjà visibles. Les accrochages sont réguliers, mais Garamba perd de moins en moins d’animaux. Rêveur, Erik Mararv parle déjà de réintroduire des rhinocéros dans le parc, alors que les derniers spécimens ont péri il y a dix ans. Quant aux girafes, Mathias D’haen reste optimiste : « Elles sont notre plus grande préoccupation, confie-t-il lors d’une conversation à la belle étoile dans le cœur du parc. Mais elles peuvent s’en sortir. Impossible d’imaginer Garamba sans ses girafes de Kordofan. »