Politiquement et médiatiquement, une journée électorale est extrêmement codifiée. Elle se termine, en début de soirée, par l’annonce des résultats – en l’occurrence, dimanche 11 juin, au premier tour des législatives, ceux des 577 circonscriptions – qui alimentent les analyses politiques et se mêlent aux éliminations des uns, à la victoire des autres et à la colère de certains.

Les grains de sables dans ce mécanisme sont les déclarations, à chaud, des hommes et femmes politiques battus, adressés parfois sans filtre sur les réseaux. Moins formatés qu’un communiqué relu par quatre conseillers, ces reconnaissances de défaite, ou mots d’adieu, sont entourés d’une certaine spontanéité car écrits dans la précipitation de la défaite.

Dans ces moments-là, Twitter et Facebook, d’ordinaire utilisés comme outil de communication institutionnel pour faire tourner les photos de leurs visites au marché ou leur programme, sortent des sentiers battus de la langue de bois et redeviennent des espaces plus personnels, presque des défouloirs comme, dimanche soir, pour des députés sortants éliminés, essentiellement socialistes.

La défaite poétique

Jean Glavany, ancien ministre sous Lionel Jospin, quitte l’Assemblée où il était élu dans les Hautes-Pyrénées depuis 1993. Ses mots, pour marquer son départ, sont plus poétiques que beaucoup d’autres :

« Il faut accepter la défaite, la reconnaître honnêtement.
Il faut respecter le verdict des urnes, le choix des électeurs.
Il faut savoir perdre, avec dignité, avec élégance.
Tout autre commentaire risquerait de verser dans l’amertume, la vanité ou l’aveuglement.
Une nouvelle vie commence ! »

La défaite philosophique

Après ses 6,4 % au premier tour de la présidentielle, Benoît Hamon a été éliminé dans la 11circonscription des Yvelines à 165 voix près. Le soir devant les quelques dizaines de militants à Trappes, il a prononcé un discours classique et convenu :

« Cette saveur amère ce soir, parce que nous échouons près de la qualification, n’enlève rien à l’engagement qui sera le mien demain de continuer à me battre pour ces ouvriers, ces employés, ces petits retraités, ces jeunes, ces pauvres. »

Le lendemain, il a dit avec une image bien plus qu’avec un long discours convenu.

La photo est le Sisyphe de Titien. Le mythe est apparu dans les récits d’Homère. Sisyphe, roi de Corinthe, est condamné par les dieux à pousser éternellement un énorme rocher en haut d’une colline pour le voir dévaler la pente dès qu’il réussit à en atteindre le sommet. Parfait pour un lundi de défaite.

La défaite en se reformulant

Le secrétaire général du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, a été éliminé dès le premier tour dans la 16e circonscription de Paris. Signe médiatique de la chute de son parti, son discours ne sera pas retransmis en direct sur TF1 ou France 2. Son équipe de campagne le résumera en 26 tweets, écrits frénétiquement après 21 heures.

Le dernier, plus personnel, sonne comme un message d’adieu et la promesse d’un retour. Sa formulation ambiguë – « nous nous reformulerons », dont la définition est « formuler de nouveau d’une manière plus correcte », sous-entendu ne rien changer sur le fond – lui a valu pas mal de sarcasme.

La défaite en se retweetant

Dans M Le Mag, Guillemette Faure accusait le retweet de congratulations d’avoir « mis l’autocélébration à portée de tous les egos » :

« Notons que cette vantardise qui prétend ne pas en être est surtout le fait d’une génération née avant Internet. Chez les “digital natives”, on sait qu’on ne dupe personne en adoptant un ton distant pour signaler qu’il y a quelque part quelqu’un qui trouve votre travail épatant. »

En politique, les soirs de défaite, difficile pour certains perdants, comme Razzi Hammadi, député PS de Seine-Saint-Denis, ou de Sandrine Mazetier, députée PS de Paris, de ne pas céder à ce baume au cœur numérique.

La défaite entre les lignes (mais positive)

A Metz, l’ex-ministre de la culture Aurélie Filippetti s’est adressé à ses amis, partisans et électeurs sans mentionner son élimination, son score ou même le fait qu’elle participait à une élection. Le ton est positif et joyeux, révélant presque un certain soulagement que la page soit tournée :

La défaite entre les lignes (mais carrément moins positive)

A Bordeaux, la députée PS et ex-ministre Michèle Delaunay se retrouve à la quatrième place. Elle a moins caché sa frustration que son ancienne collègue de gouvernement.

La défaite passive-agressive

Le PS a été laminé dans le Nord. Il a perdu ses huit sièges et les dix qu’il avait dans le Pas-de-Calais. Parmi les battus, François Lamy, ancien député de l’Essonne et proche de Martine Aubry. Dès 21 heures, il écrit un tweet à haute teneur d’ironie, avec une petite référence littéraire de l’ancien quinquennat, pour qu’on sache à qui attribuer le carnage électoral.

Bonus : la défaite en insultant ses électeurs

C’est une technique qui est aussi connue sous le nom de « liberté » de parole et de « terre brûlée électorale ». Henri Guaino, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy et candidat dissident de droite dans la 2e circonscription de droite, a annoncé qu’il ne ferait plus de politique après son élimination. Il ne l’a pas fait sur les réseaux ou dans un communiqué, mais dans une intervention sur le plateau de BFM-TV au cours de laquelle il a insulté l’électorat « à vomir » qui ne lui a pas donné la victoire qu’il pensait mériter. Ces « bobos égoïstes qui sont dans l’entre-soi et l’hypocrisie de droite » et « cette droite qui va à la messe et vote pour un type qui pendant trente ans s’est arrangé pour tricher par tous les moyens. […] Un peu pétainistes, vous savez, tous ces gens-là ». « Tous ces gens » qui n’ont pas voté pour lui.