Pablo Iglesias prononce un discours à Madrid, le 20 mai. | Francisco Seco / AP

Une à une, et classées par ordre alphabétique : c’est ainsi que la porte-parole du parti de gauche radicale espagnol Podemos, Irene Montero, a égrené les dizaines d’affaires de corruption dans lesquels sont impliqués des cadres du Parti Populaire (PP, droite, au pouvoir). « Le PP est une organisation qui se consacre à la délinquance », a-t-elle asséné, mardi 13 juin devant le Congrès, lors d’un discours virulent défendant la motion de censure déposée par Podemos contre le chef du gouvernement, Mariano Rajoy.

Empêtré dans les affaires de corruption qui assaillent des membres du PP et font suspecter un possible financement illégal de la formation, et embourbé dans un conflit politique avec la Catalogne, région autonome où les indépendantistes au pouvoir veulent organiser un référendum d’autodétermination coûte que coûte, Mariano Rajoy l’a écoutée avec flegme. Il a ensuite pris la parole pour répondre, avec ironie, à ce qu’il a qualifié de « spectacle » et d’« outil d’agitation sociale. » Cette motion de censure est en effet vouée à l’échec.

Ni le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), à gauche, ni les libéraux de Ciudadanos, ni les partis nationalistes catalans et basques, ne la soutiennent. Non qu’ils ne partagent pas les critiques de Podemos – la plupart souhaitent même le départ de M. Rajoy – ; mais en Espagne, une motion de censure doit être « constructive » pour être valable, c’est-à-dire qu’elle doit proposer un candidat alternatif capable de recueillir une majorité absolue des voix au Parlement. Le chef de file de Podemos, Pablo Iglesias, n’a aucune chance.

« Ficelles »

Au mieux, les socialistes s’abstiendront lors du vote afin d’exprimer leur rejet de M. Rajoy. Mais ils ne donneront pas leur voix à celui qui a refusé de conférer une majorité à leur secrétaire général Pedro Sanchez en mars 2016, alors que l’essentiel des scandales de corruption que Mme Montero a énoncés avaient déjà éclaté. C’est là la grande contradiction de cette motion de censure : s’il existe une « urgence démocratique » de « virer » M. Rajoy, comme le dit la formation, les socialistes rappellent que cette urgence existait déjà lorsque Podemos a voté contre l’investiture de M. Sanchez.

Lorsqu’elle a été conçue, peu avant les primaires du PSOE, cette motion de censure n’avait en réalité pas pour objectif de faire tomber M. Rajoy. Pablo Iglesias entendait remobiliser son électorat et occuper l’espace médiatique. Il souhaitait surtout se présenter comme le seul véritable parti d’opposition face au PP alors qu’une candidate favorable à des ententes ponctuelles avec les conservateurs, Susana Diaz, semblait se profiler comme prochaine chef de file du PSOE.

Pour cela, Podemos a organisé un vote de ses militants sur la motion de censure (97 % de vote pour, mais avec une participation en forte baisse) et une modeste manifestation. Cette motion s’inscrit ainsi dans une logique protestataire, la même qui a impulsé le « tramabus » ou « bus de la trame », un autocar affrété en avril par Podemos sur lesquels s’affichent en grand les visages de banquiers, de cadres du PP mis en examen pour corruption, de grands chefs d’entreprise, de dirigeants de médias, qui circule dans plusieurs villes et dont le but est de « démasquer » la « mafia politico-financière » qui « tire les ficelles du pouvoir ».

Podemos est souvent isolé au Parlement, se contentant d’effets de tribune. La reprise économique a démobilisé les mouvements sociaux. Et finalement, la victoire surprise à la primaire du PSOE de Pedro Sanchez, qui représente la gauche du parti farouchement opposée à tout accord avec le PP, a brisé son espoir de se poser en seul parti d’opposition de gauche.

« Moi, modestement, j’ai gagné »

Les sondages évoquent un recul électoral continu de la gauche radicale, tandis que les socialistes remontent et creusent l’écart. Selon l’enquête Celeste Tel pour Eldiario.es, publiée le 11 juin, le PSOE obtiendrait 23,5 % des voix (+ 0,8 point par rapport aux résultats de juin 2016) et Unidos Podemos 19 % (- 2,3 points).

De son côté, Mariano Rajoy a réussi à faire approuver le budget grâce au soutien des nationalistes basques et canariens et de Ciudadanos, et maintient la stabilité du gouvernement semaine après semaine, malgré sa minorité parlementaire. Cette motion de censure pourrait finalement être bénéfique au chef de l’exécutif, qui, malgré toutes les casseroles que traîne son parti et son incapacité à faire retomber la tension en Catalogne, va démontrer que personne d’autre que lui n’est capable de rassembler une majorité au Parlement.

« Au PP, il y a eu des corrompus, oui ; mais le PP, qui a 800 000 militants, n’est pas un parti corrompu, et c’est pour cela que les Espagnols nous donnent leur confiance. Moi, modestement, j’ai gagné les trois dernières élections », s’est ainsi félicité M. Rajoy après avoir moqué la motion de censure, dont « on ne sait pas si elle a été présentée contre le PP, contre d’autres partis, contre le monde entier ou contre vous-mêmes ».