L’Assemblée nationale, le 22 février. | PATRICK KOVARIK / AFP

Editorial du « Monde ». C’est une petite musique que l’on entend rituellement au lendemain des élections législatives. Quand les vainqueurs – alternativement les socialistes ou la droite depuis des décennies – se réjouissent de l’efficacité du système institutionnel et électoral qui leur permet de disposer d’une solide majorité parlementaire pour gouverner, les autres partis déplorent l’implacable mécanique qui les prive d’une représentation équitable à l’Assemblée nationale. Centristes et communistes depuis des lustres, Front national, écologistes et La France insoumise plus récemment réclament donc l’instauration du scrutin proportionnel, seule manière à leurs yeux de parvenir, selon l’expression de la présidente du FN, à « une représentation digne de ce nom ».

Leur plaidoyer est solidement étayé. Non seulement la Ve République a consacré la prééminence de l’élection présidentielle sur celle des députés, mais le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, restauré en 1958 pour les élections législatives, a régulièrement accordé un avantage décisif au camp du chef de l’Etat. C’est encore plus vrai depuis que les législatives sont organisées dans la foulée de la présidentielle.

Un puissant amplificateur

Ainsi, alors que les candidats de La République en marche et leurs alliés centristes du MoDem ont recueilli 32 % des suffrages exprimés le 11 juin, ils semblent assurés d’obtenir 400 à 450 députés, soit au moins 70 % des sièges que compte l’Assemblée nationale, au terme du second tour, le 18 juin.

A l’inverse, avec un peu plus de 20 % des voix, Les Républicains et leurs alliés ne devraient recueillir qu’une centaine de sièges. De même, les 11 % de voix de La France insoumise ne lui permettent guère d’espérer faire élire plus d’une vingtaine de députés. Quant au Front national, malgré ses 14 % de voix au premier tour, il ne disposera, au bout du compte, que d’une maigre poignée d’élus.

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S’il n’en est pas la seule cause, le mode de scrutin législatif est un puissant amplificateur de ces mouvements. C’est même sa fonction et son mérite premiers : contrairement à la dispersion qu’entraîne mécaniquement le scrutin proportionnel, assurer autant que possible au pouvoir exécutif une solide majorité parlementaire et lui permettre de gouverner efficacement.

Pour autant, cela n’efface ni la distorsion de la représentation ni de dangereuses illusions d’optique. Pour corriger la première, François Hollande s’était engagé, en 2012, à introduire une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif. A sa demande, l’ancien premier ministre Lionel Jospin lui avait fait des recommandations, d’ailleurs prudentes. Mais cette réforme est restée dans les tiroirs. Emmanuel Macron l’a reprise à son compte en promettant, à son tour, une proportionnelle « dosée ». Reste à vérifier que ce chantier complexe – il suppose notamment un complet redécoupage des circonscritions législatives –, sera bien engagé rapidement, comme annoncé.

Quant à l’illusion d’optique, on y est accoutumé depuis le début de la Ve République. Elle consiste pour le président de la République et le premier ministre à oublier, derrière la majorité dont ils disposent à l’Assemblée, l’étroitesse de sa base politique réelle. Le risque est encore plus grand quand le groupe de députés favorables au chef de l’Etat domine de façon écrasante. L’oublier serait s’exposer à de sérieuses déconvenues, comme d’autres en ont fait l’expérience, à gauche comme à droite.