« Pendant trop longtemps, l’Irlande a été divisée entre ceux qui paient pour tout et reçoivent peu en échange, tandis que d’autres sont habitués à recevoir gratuitement et estiment que c’est aux autres de payer », a affirmé Leo Varadkar | Brian Lawless / AP

A 38 ans, Leo Varadkar est devenu, mardi 13 juin, premier ministre de la République d’Irlande. En raison de son ascension fulgurante, la presse le compare volontiers à Justin Trudeau ou Emmanuel Macron, à côté duquel il s’est affiché entre les deux tours de l’élection présidentielle française.

La transformation de l’Irlande

Vu de l’étranger, l’accession au pouvoir de M. Varadkar est le signe de l’évolution sociale majeure, à l’œuvre depuis une vingtaine d’années en Irlande : il est le fils d’un médecin indien immigré en Grande-Bretagne puis en Irlande et est le premier ministre d’un gouvernement irlandais à avoir affiché son homosexualité.

Pourtant, l’Irlande que M. Varadkar s’apprête à diriger est différente de celle dans laquelle il a grandi : un pays de tradition catholique, où l’homosexualité a été dépénalisée en 1993 et où le divorce a été légalisé en 1995. L’Irlande a évolué et a bâti sa réussite sur l’envol de l’industrie des hautes technologies, en offrant des avantages fiscaux et un marché du travail flexible qui a attiré les multinationales, notamment américaines, avant d’être frappée de plein fouet par la récession de 2008 et de se redresser.

Un « sniper » en politique

C’est dans cet environnement que Leo Varadkar a fait ses premières armes, lorsque son parti, le Fine Gael (le clan des Gaels), est arrivé au pouvoir en 2011, offrant au futur Taoiseach (premier ministre en Irlande) ses premiers portefeuilles de ministre.

La publication en ligne du Journal.ie le décrit, au cours de ces années, comme un « sniper », un élu habitué à exprimer ses opinions, sans détour, ce qui l’a déjà placé en position délicate au sein du Fine Gael, notamment en 2010, lorsqu’il a soutenu la contestation interne face à Enda Kenny, chef du parti de 2002 à mai 2017 et premier ministre de 2011 à 2017.

Ce qui ne l’a pas empêché en 2014, de décrocher le poste de ministre de la santé, considéré comme difficile dans un pays où les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous dans les hôpitaux publics sont très longs.

L’homosexualité pas mise en avant

C’est à ce moment-là qu’il a décidé de révéler son homosexualité, sachant qu’il allait devoir se prononcer sur des questions comme la gestion pour autrui ou le don de sang par les homosexuels et les bisexuels, quatre mois avant le référendum sur le mariage homosexuel.

Lors d’une interview diffusée le 18 janvier 2015 (jour de ses 36 ans) sur la RTE Radio il a précisé, à propos de son orientation sexuelle : « Ce n’est pas quelque chose qui me définit. Je ne suis pas un politicien à moitié Indien, ou à moitié médecin ou à moitié homosexuel. Ce n’est qu’une partie de mon identité, mais cela ne me définit pas, c’est une partie de ma personnalité, j’imagine. (…) Je veux simplement que les gens sachent que, quelles que soient les décisions à prendre, quel que soit le domaine, je le ferai selon ce que je crois être dans l’intérêt public et en ma propre conscience, jamais en fonction de mes antécédents ou de mon orientation sexuelle. »

Lorsqu’Enda Kenny a annoncé son retrait de la direction du parti, à la mi-mai, les partisans de Leo Varadkar ont lancé une stratégie de « choc et effroi » au sein du Fine Gael pour prendre sa succession. Face à Simon Coveney, présenté comme le favori, le ministre de la santé l’emporte et devient chef du parti le 2 juin 2017. Après la victoire de M. Varadkar, M. Coveney a mis en garde contre un virage à droite du Fine Gael. Néanmoins, Simon Coveney devrait rester au gouvernement.

Mais si M. Varadkar s’est imposé à la tête du Fine Gael, parti politique irlandais se définissant comme du centre progressiste (centre droit), c’est surtout pour les enjeux économiques, comme son attitude face au Brexit.

Brexit et réforme fiscale

Le défi majeur du nouveau premier ministre consistera à gérer le Brexit avec le voisin britannique : « Les résultats de l’élection du Royaume-Uni m’indiquent qu’il n’y a pas de mandat fort pour procéder à un Brexit dur, ce qui représente une opportunité pour l’Irlande », a-t-il déclaré au lendemain de l’élection législative du 8 juin, assurant qu’il jouerait son rôle pour que les discussions sur le Brexit se fassent de manière harmonieuse et cohérente.

Il est aussi attendu sur les réformes fiscales. Les classes moyennes irlandaises se sentent étranglées par les politiques menées par le Fine Gael depuis son arrivée au pouvoir. M. Varadkar estime qu’elles sont injustement traitées et que les taux d’imposition les concernant sont responsables de la fuite des cerveaux vers l’étranger. « Les impôts doivent être simplifiés, simples et équitables », a-t-il écrit. « Pendant trop longtemps, l’Irlande a été divisée entre ceux qui paient pour tout et reçoivent peu en échange, tandis que d’autres sont habitués à recevoir gratuitement et estiment que c’est aux autres de payer. » De quoi ravir les classes moyennes et froisser les partis de gauche.

Dans sa dernière intervention devant le gouvernement irlandais, mardi 13 juin, Enda Kenny son prédécesseur, l’a mis en garde : « Il y a une énorme différence entre diriger un pays et diriger un cabinet ministériel », a-t-il lancé.