En Janvier, les forces de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Micega) étaient intervenues pour contraindre Yahya Jammeh à rendre les clés d’un palais présidentiel qu’il ne voulait plus quitter en dépit de sa défaite électorale. Six mois après avoir chassé l’autocrate gambien, les vivats de la foule ont peu à peu cédé la place aux grincements de dents. « Maintenant que Jammeh est parti, ces soldats n’ont plus rien à faire ici », rouspète l’enseignant Ibrahima Coly, tout juste débarqué du ferry qui l’a ramené à Banjul depuis le village de Bara.

Installés sur le terminal portuaire qu’elles contrôlent, les soldats de la Micega semblent en terrain conquis. « C’est frustrant de se voir envahis par des forces étrangères, où sont les soldats gambiens ? Ils sont réduits à suivre des ordres de soldats venus d’ailleurs », peste Musa Jallow, un étudiant, perdu dans un grand tee-shirt noir tacheté de graffitis argentés.

Un pays encore fragile

Avec 4 000 soldats au début de l’intervention en janvier, les effectifs de la Micega ont progressivement diminué. Ils ne sont plus qu’environ 500 hommes, dont 250 Sénégalais. Le reste des troupes est constitué de Nigérians et de Ghanéens. Lors du dernier sommet de la Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), début juin, leur mandat a été prolongé pour douze mois supplémentaires. La situation en Gambie est encore jugée trop fragile par les chefs d’Etat ouest-africains.

Pour les militaires gambiens, qui furent un pilier du système Jammeh, cette présence est vécue comme une humiliation. A quelques encablures du camp militaire de Youndoum, un trio de soldats désœuvrés se détend autour d’un thé. Un moment privilégié pour exprimer leurs plaintes. Sous le sceau de l’anonymat, le plus âgé d’entre eux lâche : « C’est une honte ! Les forces gambiennes ont été désarmées dès l’arrivée des éléments de la Cédéao. Nous avons l’impression d’avoir perdu notre indépendance. » Un avis partagé par ses cadets, qui acquiescent et justifient leur « oisiveté » par l’absence de tâches concrètes.

interpellé par le Monde Afrique, un haut gradé de l’armée gambienne regrette la situation et estime que le nouveau président gambien doit pouvoir composer avec son armée dès lors qu’il a été démocratiquement élu. « Je ne sais pas ce qui se passe dans la tête des dirigeants du nouveau régime, mais cette situation d’envahissement ne peut plus continuer », déclare-t-il.

Grand frère envahissant

Ce ras-le-bol qui enfle au sein d’une partie de la population gambienne est perceptible dans les médias. Plusieurs stations de radios du pays ouvrent quotidiennement leur antenne aux auditeurs qui fustigent cette présence étrangère et raillent la faiblesse du nouveau régime.

Cette frustration a dégénéré en échauffourées, le 2 juin, dans le sud du pays où se trouve Kanilaï, le village natal de l’ex-président Yahya Jammeh.

Soldats nigériens du contingent de la Cédéao sécurisent l’aéroport de Banjul, en janvier 2017. | CARL DE SOUZA/AFP

La population a manifesté contre la présence des forces de la Cédéao déployées dans cette zone frontalière de la Casamance, province rebelle du Sénégal où les indépendantistes du MFDC ont longtemps bénéficié de l’appui du dictateur déchu. Des pneus ont été brûlés. Des manifestants ont scandé des slogans pour réclamer le retour de leur héros exilé en Guinée équatoriale. « Nous voulons Yahya Jammeh ! Pourquoi on nous surveille comme des malpropres ? La Gambie est un pays souverain ! », ont scandé les protestataires.

Un soldat de la Micega a été blessé à l’arme blanche. Un manifestant a succombé à ses blessures le lundi 5 juin à l’hôpital de Banjul et 22 autres ont été arrêtés, dont 13 placés sous mandat de dépôt.

Le président Adama Barrow a convoqué le jour même une réunion d’urgence au cours de laquelle il a appelé les Gambiens à respecter la loi et a averti que « les menaces à la sécurité publique ne seront pas tolérées ». Le nouveau chef de l’Etat a martelé que « les régions et les communautés du pays sont sous l’autorité de l’Etat et ne peuvent fonctionner isolément ».

Après vingt-deux années de dictature, l’empreinte de Yahya Jammeh ne s’est pas encore dissipée et pointe déjà la peur d’un assujettissement au Sénégal, un grand frère toujours envahissant.