La coalition internationale reconnaît l’usage d’obus au phosphore à Mossoul
La coalition internationale reconnaît l’usage d’obus au phosphore à Mossoul
Par Madjid Zerrouky
Si la coalition internationale se défend de mettre en danger les civils, des tirs de munitions incendiaires ont ciblé des zones d’habitations.
Capture d’écran de la vidéo tournée à Mossoul, le 3 juin, par Kurdistan 24, montrant des explosions d’obus et la retombée de flammèches incendiant les immeubles. | Kurdistan 24
La coalition internationale a bien tiré des obus au phosphore blanc dans des zones habitées contrôlées par l’organisation Etat islamique (EI) à Mossoul, en Irak, et vraisemblablement à Rakka, en Syrie : des munitions qui se dispersent dans l’air et qui, en retombant au sol, provoquent des brûlures profondes qui atteignent les muscles et les os.
« Nous avons fait usage de phosphore blanc dans l’ouest de Mossoul pour créer un écran de fumée et permettre aux civils de fuir », a déclaré mardi 13 juin le général néo-zélandais Hugh McAslan, porte-parole de la coalition, à la radio publique américaine NPR.
Cette déclaration confirme des vidéos explicites, filmées par des militants de l’opposition syrienne à Rakka le 8 juin et par la télévision Kurdistan 24 à Mossoul le 3 juin, qui montrent des séries d’explosions d’obus à une trentaine de mètres de hauteur, puis la retombée en grappes, dans les rues et sur des immeubles d’habitations, de flammèches blanches qui provoquent des incendies.
Effets immédiats mais aussi à long terme
Sans démentir l’usage de phosphore blanc à Rakka, la coalition internationale s’est défendue, dans un communiqué diffusé lundi, d’y mettre en danger des civils : « La coalition prend toutes les précautions raisonnables pour minimiser le risque de blessures accidentelles pour les non-combattants et les dommages aux structures civiles. »
L’armée irakienne a elle aussi admis sur son compte Facebook avoir procédé « en coordination avec la coalition internationale » à des frappes près d’un grand hôpital de Mossoul « pour protéger des civils fuyant la zone en obscurcissant la vision des snipers de l’EI postés dans l’immeuble ». Des explications qui ne convainquent pas les ONG, qui dénoncent la dangerosité de ces munitions pour les civils.
En novembre 2016, l’ONG Amnesty International s’était déjà inquiétée de leur usage sur des villages de la région de Mossoul, en Irak. En mars, leur utilisation, en plein centre de Mossoul cette fois, a été rapportée par le collectif d’investigation britannique Bellingcat.
Si l’utilisation du phosphore blanc n’est pas interdite, le Comité international de la Croix-Rouge rappelait en 2009, après leur usage par l’armée israélienne à Gaza, que « l’utilisation de telles armes contre tout objectif militaire situé dans des zones où se concentrent des civils est interdite, sauf si l’objectif en est clairement séparé ».
« Ce sont des armes incendiaires, rappelle Aymeric Elluin, responsable du plaidoyer armes et impunité d’Amnesty International. Par nature, leur utilisation devrait être prescrite sur des zones densément peuplées. Cela relève du crime de guerre. » « Elles représentent un danger double, immédiat et sur la durée. Sur l’instant, elles tuent et mutilent. Et ont un effet sur le long terme. Ce sont des obus qui dispersent des feutres imprégnés de phosphore blanc. Enfouis sous le sable, ils peuvent s’éteindre provisoirement, puis se rallumer spontanément au contact de l’air, en étant par exemple déplacés par des civils. Ils ont le même effet à terme que des mines antipersonnel », explique-t-il.
« Des armes incapables de cibler quoi que ce soit »
Une photo publiée par le Pentagone en août 2016 montre le 320e régiment d’artillerie de l’armée américaine, en action dans la région de Rakka pour appuyer les Forces démocratiques syriennes, tirer des obus M825A1. Ceux-ci dispersent 116 morceaux de feutre imprégnés de phosphore sur un rayon de 125 à 250 mètres.
« Ce sont des armes qui sont incapables de cibler quoi que ce soit au sol, dénonce Aymeric Elluin. L’EI se sert en plus de boucliers humains et empêche les civils de partir, comment pouvez-vous dès lors assurer que ces derniers seront à l’abri du phosphore blanc ? »
Il resterait près de 130 000 habitants à Rakka. Depuis juin 2016, près de 1 500 civils auraient péri dans la province syrienne, victimes des combats et des bombardements, selon les activistes du réseau Raqqa Is Being Slaughtered Silently (« Rakka se fait massacrer en silence »).