Le garde des sceaux, François Bayrou, à Paris, le 13 juin. | BENJAMIN GIRETTE/HANS LUCAS POUR "LE MONDE"

En matière de lutte anticorruption, la France est en passe de changer de statut parmi les pays développés. Elle avait été très sévèrement pointée du doigt par les organisations intergouvernementales dépendant de l’OCDE, en 2012, et du Conseil de l’Europe, en 2013, en raison d’une législation très insuffisante.

Aujourd’hui, la loi pour « la confiance dans la vie démocratique » est une nouvelle étape dans la moralisation de la vie publique après la sérieuse remise à niveau intervenue sous le mandat de François Hollande, en particulier après l’affaire Cahuzac. La loi de 2013 créant notamment le parquet national financier et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, et la loi Sapin 2 de 2016 instituant l’Agence française anticorruption sont passées par là.

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Le projet de loi défendu par François Bayrou, et présenté mercredi 14 juin en conseil des ministres, va même au-delà des règles que préconise la Convention de lutte contre la corruption de l’OCDE en matière de financement des partis politiques. En effet, l’interdiction faite aux partis de ne pas se faire financer par des personnes morales étrangères autres que des banques de l’Union européenne vise clairement la situation du Front national, recherchant des financements en Russie. La convention OCDE axée sur la corruption internationale ne prévoit pourtant pas de règles de ce type.

En ce qui concerne la transparence de la vie parlementaire et la probité des élus, le projet gouvernemental répond à des préventions répétées depuis plusieurs années par le Groupe d’Etats contre la corruption (Greco) du Conseil de l’Europe. Gianluca Esposito, secrétaire exécutif de l’organisation, salue ainsi les intentions exprimées par Paris avec ce projet de loi, « tant dans les sujets abordés que dans la façon dont ils sont traités ».

Dans un rapport de contrôle sur la France signé en mars 2016, le Greco prenait soin de réitérer sa recommandation pour que « les conditions de recours aux collaborateurs et assistants parlementaires ainsi que l’indemnité représentative de frais de mandat et le dispositif de la réserve parlementaire soient réformés en profondeur afin de garantir la transparence, la responsabilité et le contrôle de ces ressources ».

Le projet de loi, qui sera débattu au Parlement dans les prochaines semaines, prévoit la suppression pure et simple de la réserve parlementaire, l’interdiction des emplois familiaux par les élus, et le remplacement des indemnités représentatives de frais de mandat par un remboursement sur la base de justificatifs que les députés et sénateurs devront fournir. Le Greco n’en demandait pas tant.

Des mesures extrêmement rigoureuses que le Conseil d’Etat estime justifiées « par l’objectif d’intérêt général » du projet. Dans son avis au gouvernement, que Le Monde a pu consulter, l’institution précise même la portée de l’interdiction faite aux élus d’employer un membre de leur famille : seront concernés le conjoint de l’élu ; ses parents, enfants, frères et sœurs ainsi que les conjoints de ceux-ci ; ses grands-parents, ses petits-enfants et ses neveux et nièces ; les parents, enfants et frères et sœurs de son conjoint. Ainsi délimitée, cette interdiction est destinée à combattre ce que M. Bayrou dénonce comme des pratiques revenant à s’octroyer des compléments de revenus par le biais d’emplois familiaux.

En matière de gestion des conflits d’intérêts, la méthode douce choisie par M. Bayrou de confier le soin à chaque Assemblée de se doter de ses règles sous le contrôle d’une commission de déontologie, est également approuvée par le Conseil d’Etat. Il ne paraît pas nécessaire d’aller jusqu’à une externalisation de la gestion des conflits d’intérêts, par exemple par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Selon M. Esposito, du Greco, « les conflits d’intérêts ne sont pas en soi un acte de corruption, l’important est d’avoir des règles préventives avec un système de gestion où l’on sait qui est saisi lorsque apparaît une situation susceptible de constituer un problème ».

« Indépendance totale pour les parquets »

Le Conseil d’Etat valide ainsi l’essentiel du projet de réforme défendu par le ministre de la justice. Toutefois, à côté de sévères critiques contre la proposition de création d’une « banque de la démocratie », l’institution du Palais-Royal rejette purement et simplement deux mesures du texte de loi en raison d’un risque d’inconstitutionnalité. Tout d’abord l’idée d’imposer aux grands partis, au-delà d’un certain seuil de fonds publics attribués, de séparer la fonction d’ordonnateur des dépenses de celle du payeur. Cette mesure serait contraire à la liberté de s’organiser garantie aux partis par l’article 4 de la Constitution.

Enfin, M. Bayrou proposait que les comptes de ces mêmes partis politiques soient certifiés par les magistrats de la Cour des comptes. L’avis du Palais-Royal estime cette disposition contraire à la liberté d’entreprendre, car elle écarte sans raison valable les commissaires aux comptes de ce marché.

Il reste un point noir dans le dispositif français : l’indépendance de la justice. « Malgré des avancées substantielles, la France doit donner plus d’indépendance aux parquets, voire une indépendance totale », plaide Patrick Moulette, le chef de la division de lutte contre la corruption de l’OCDE. M. Bayrou promet de s’attaquer à ce sujet après l’été. Les textes seront alors aux standards internationaux. Il n’y aura plus qu’à les mettre en œuvre.