Devant le Palazzo Vecchio, à Florence. | ALBERTO PIZZOLI / AFP

Un fléau frappe Florence. Il s’appelle Roland, il est Allemand, a 37 ans, et depuis une semaine, profite gratuitement de la nourriture et de l’alcool des meilleurs restaurants de la ville. Au moment de payer, il répond systématiquement, avec le sourire, qu’il n’a pas d’argent et parfois que, étant Allemand, « les Italiens paieront » pour lui.

La jeune légende de Roland, l’homme a la grande barbe brune qui n’a pas besoin d’un nom de famille, a été construite par les journaux italiens. Ils l’appellent « le profiteur en série » et voient en lui « quelque chose d’un roman tragicomique ». Ils sont fascinés par ses refus répétés de respecter le lien social établi dans un restaurant (on mange = on paie) et la défiance avec laquelle il le fait. Ils racontent son histoire jusque dans les détails des factures impayées, dans un mélange d’incompréhension, d’exagération et de gourmandise.

Les auteurs se posent des questions auxquelles ils n’ont pas de réponse. Est-ce qu’avec sa phrase « les Italiens paieront » Roland veut dire que la puissance économique de son pays dans l’Union européenne l’autorise à manger et boire à l’œil ici ? Est-ce un acte politique ? Est-il juste un escroc ?

On sent que chaque article (et il y a en quand même beaucoup pour un fait vraiment divers) s’écrit tout seul, tant les détails et les anecdotes sont improbables. Ils finissent par ressembler à ces « unes » fictives dans les vieux comics books annonçant les crimes en série d’un super-vilain inarrêtable : « Roland, le serial-profiteur, a encore frappé » ou « Un toast au Caffè Giacosa et il s’en va, c’est encore Roland » ou « Pas de trêve pour Roland, qui grappille un petit-déjeuner » ou, le plus italien de tous, « On ne peut rien faire contre Roland, le profiteur des restaurants de Florence ».

Factures, défiance et « insolvabilité frauduleuse »

L’itinéraire du « cauchemar des propriétaires de bar et restaurants de Florence » (titre honorifique que lui a donné QuiNews Firenze) a commencé dès son arrivé dans la ville, le 7 juin. Les journaux, sûrement avec l’aide de sources policières, le retracent scrupuleusement. Dès sa première journée à Florence, il enchaîne altercations avec les propriétaires et PV pour « insolvabilité frauduleuse ». Dans les jours qui suivent ce sera 80 euros au café Strozzi, des bières au Bar Palazzo Vecchio ou un déjeuner de 60 euros au restaurant Gallo Nero’de Greve in Chianti, autant de factures ignorées.

A chaque fois, le même modus operandi passif et défiant, raconté par Il Tirreno :

« Rien à voir avec l’art de l’escroquerie du comte Raffaello Mascetti ou d’autres champions du genre, vus au cinéma. Celle de Roland est une escroquerie hard : il arrive, il mange, il boit, en général il s’enivre, et ensuite il n’essaie même pas de s’échapper : il refuse simplement de payer, n’ayant rien à faire des conséquences. Parfois, il échange des mots durs avec le propriétaire et répète la même phrase : “Je n’ai pas d’argent et je ne paie pas”. »

La plupart du temps, Roland reste amical et courtois quand les policiers arrivent. Comme il n’a ni argent ni de pièce d’identité, que les délits sont considérés comme mineurs au vu des sommes et que les restaurateurs ne portent pas plainte, il repart libre.

La chance, si on peut dire, de Roland a changé dans la nuit du 10 au 11 juin. « Comme toujours, assis à une table, il a commandé sept bières, un toast et un sandwich pour un total de 62 euros », écrit QuiNews Firenze. Une fois les policiers arrivés au Caffè Giacosa, après l’habituel coup de fil du restaurateur, les sept bières se font sentir. Il commence à les insulter en anglais et en italien. C’est là, selon la presse locale, qu’un serveur l’entend dire :

« Je suis Allemand. Les Italiens paieront. »

Un autre témoin dira à l’AFP qu’il a en fait laissé un mot :

« L’Eglise catholique a payé. »

Roland est ramené au poste, accusé d’outrage et résistance à un policier. Compte tenu de ses antécédents et de son attitude, le juge décide de l’interdire de résidence dans toute la région de Toscane. En attendant de l’application de la peine, il est relâché en pleine nuit dans les rues de Florence. Le récit de QuiNews Firenze reprend le lendemain. « Et Roland, comme si rien n’était arrivé, a saisi l’occasion de frapper à nouveau » : un petit-déjeuner dans la rue Avelli pour 19 euros, pas de cash et un énième PV pour « insolvabilité frauduleuse ».

Le site Dissapore, spécialisé dans la nourriture, s’est intéressé au fracas provoqué par Roland dans les cercles culinaires. « Comment les restaurateurs florentins peuvent-ils se défendre dans ces cas-là, au-delà d’être particulièrement tolérant ? demande-t-il. Cela peut sembler paradoxal, mais ils ne peuvent malheureusement pas grand-chose, sinon faire appel aux autorités. Ce qui ne semble pas trop inquiéter Roland. »

Il y a un an, la Cour de cassation italienne jugeait que le vol de nourriture pour un faible montant n’était pas un délit quand c’était dans un but de survie. Elle avait revu le cas d’un sans-abri qui avait été condamné à de la prison pour avoir volé 4 euros de saucisse et de fromage. Pas sûr que cette jurisprudence s’applique à Roland, potentiellement lui-aussi SDF, et potentiellement, désormais, en errance ailleurs vu que sa réputation le précède dans les restaurants florentins.