Manifestations contre la corruption, à Saint-Petersbourg, le 12 juin. | DMITRI LOVETSKY / AP

Editorial du « Monde ». Vladimir Poutine peut dormir sur ses deux oreilles. L’élection présidentielle qui devrait, en 2018, lui permettre de se maintenir au pouvoir en Russie six ans de plus – pouvoir qu’il détient depuis l’an 2000 – se présente plutôt bien pour lui. Sa cote de popularité reste obstinément supérieure à 80 %. Aucune personnalité politique susceptible de lui opposer une candidature sérieuse n’a émergé.

Un homme, pourtant, s’entête à troubler cet horizon sans nuages. Alexei Navalny, qui, lui, dort en prison depuis lundi 12 juin, cette fois-ci pour trente jours, ne sera vraisemblablement pas candidat contre M. Poutine : une condamnation judiciaire prononcée en 2013, qu’il affirme montée de toutes pièces, devrait opportunément l’en empêcher. Mais ce juriste de 41 ans, ancien candidat à la mairie de Moscou, s’est imposé au fil des mois, et malgré les incessantes persécutions dont il fait l’objet, comme le seul acteur politique capable d’organiser la contestation contre le régime du président russe. Avec, comme principal facteur de mobilisation, un thème puissant : la lutte contre la corruption.

Des centaines d’arrestations

Les manifestations du 12 juin ont révélé une impressionnante progression géographique de cette mobilisation, en dépit de la force de dissuasion que représente la répression implacable de chacun de ces rassemblements. Lundi, les ONG russes ont recensé pas moins de 1 400 arrestations dans les seules villes de Moscou et Saint-Pétersbourg. Mais elles ont aussi recensé 187 villes dans lesquelles des demandes de rassemblement avaient été déposées, à l’initiative d’Alexei Navalny. Ce chiffre a doublé par rapport aux précédentes manifestations, celles du 26 mars, qui avaient eu lieu dans quelque 90 villes de Russie et marquaient les plus gros rassemblements depuis l’important mouvement de protestation de 2011.

Le pouvoir russe n’a guère d’autre moyen que la répression pour contrer la renaissance d’une telle contestation. Son appareil de propagande est largement impuissant face à l’outil sur lequel s’appuient Alexei Navalny et ses partisans : Internet et les réseaux sociaux, que le régime russe contrôle beaucoup moins que le pouvoir chinois. Une vidéo remarquablement documentée sur l’enrichissement personnel du premier ministre, Dmitri Medvedev, grâce à une investigation menée par l’équipe de M. Navalny, a ainsi été vue 22 millions de fois.

Cet outil est très efficace auprès des jeunes, dont la présence parmi les manifestants, lundi, a été particulièrement remarquée. Cette nouvelle génération de manifestants pose, à terme, un problème sérieux au président Poutine, bien en peine de trouver la riposte au message d’Alexei Navalny : « La corruption vole votre avenir. »

L’autre élément susceptible d’inquiéter le Kremlin est la radicalisation de la contestation. Aux manifestations massives des artistes, des classes moyennes et des intellectuels de 2011, largement concentrées à Moscou, a succédé un mouvement numériquement plus faible, mais plus étendu dans le pays et plus déterminé. Cette dynamique est à l’image d’Alexei Navalny qui, bloqué dans sa stratégie électorale mais refusant de céder à la peur et à l’intimidation, parcourt le pays d’ouest en est et du nord au sud dans sa croisade contre la corruption. Il ne menace pas directement, pour l’instant, Vladimir Poutine. Mais, comme la contestation, la confrontation entre les deux hommes n’est pas près de s’effacer.

Russie : l’opposant Alexeï Navalny et des manifestants arrêtés
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