Euclid Tsakalotos, le ministre grec des finances (à droite) et son homologue allemand,  Wolfgang Schäuble, lors de l’Eurogroupe le 15 juin, à Luxembourg. | Geert Vanden Wijngaert / AP

Un énième Eurogroupe consacré à la Grèce se tient jeudi à Luxembourg. La réunion pourrait déboucher sur le déblocage d’une nouvelle tranche d’aide à Athènes. Mais la question cruciale d’un allégement de la dette risque d’être reportée.

Ces incertitudes brident toute reprise de l’économie et pénalisent une population exsangue, après sept années d’austérité. Marina Rafenberg, intérim du « Monde » à Athènes, a répondu lors d’un tchat aux questions des internautes. En voici les principaux extraits.

Rosy : Pouvez-vous nous dire comment on vit ou survit, en Grèce aujourd’hui ?

Marina Rafenberg : Après sept ans d’austérité, la situation des Grecs est évidemment pénible : leurs salaires ont été diminués – rien que le salaire minimum est passé de 794 euros en 2008 à 684 euros actuellement – les retraites ont baissé de près de 40 % en moyenne, les impôts ont augmenté…

Le pouvoir d’achat des Grecs a donc énormément diminué et les situations de pauvreté ont augmenté. Pour les jeunes diplômés, il est très difficile de trouver du travail – un jeune sur deux est au chômage. Beaucoup décident de partir à l’étranger pour un meilleur avenir. Bref, la situation est difficile et les Grecs ne voient pas le bout du tunnel, ils sont épuisés par ces réformes d’austérité.

Kate : Il y a deux ans, on parlait déjà de la Grèce, des aides à lui donner, des efforts qu’elle devait fournir, de la réduction de la dette… Ne s’est-il rien passé depuis ?

Depuis l’élection d’Alexis Tsipras à la tête du pays, en janvier 2015, un plan d’aide à la Grèce d’un montant de 86 milliards d’euros a été signé entre Athènes et ses créanciers – Banque centrale européenne, Union européenne, Fonds monétaire international (FMI). Le gouvernement grec s’est par conséquent engagé à mettre en place plusieurs réformes d’austérité pour pouvoir obtenir ce prêt délivré en plusieurs tranches.

Le gouvernement du premier ministre a ainsi passé une quatorzième réforme des retraites très impopulaire, a décidé d’une nouvelle hausse des impôts, continue de privatiser les biens de l’Etat par le biais du fonds de privatisation. Le gouvernement fait donc des efforts, mais les blocages entre les créanciers et la Grèce restent importants. Pour le moment, Athènes ne savait même pas si le FMI allait participer financièrement au programme d’aide par exemple… La Grèce reste donc dans une situation précaire, car elle est toujours sous perfusion d’argent provenant des créanciers, elle doit répondre à leurs exigences pour continuer à obtenir ces prêts et ne pas faire faillite.

Delphine : Depuis son élection Alexis Tsipras a quelque peu renié certaines de ses promesses. Dans quelle position se trouve-t-il aujourd’hui politiquement ?

Le premier ministre a en effet dû s’adapter aux exigences des créanciers et a abandonné une partie de son programme (même si en septembre 2016 lorsqu’il a été réélu, son programme avait déjà changé). Les Grecs sont évidemment déçus par Alexis Tsipras. Par exemple dans le sondage de l’institut Marc paru le 28 mai, Syriza recueillerait 13,7 % des voix en cas d’élections contre 28,2 % pour la Nouvelle Démocratie. A la question qui d’Alexis Tsipras ou de Kiriakos Mitsotakis (président de la Nouvelle Démocratie, droite) préfériez-vous comme prochain premier ministre, 35,6 % des personnes interrogées déclarent Mitsotakis contre 19,5 % pour Tsipras. Mais 44,9 % déclarent aucun des deux ! Si le gouvernement ne tombe pas c’est parce que Syriza a la majorité au parlement, grâce à une alliance avec le parti des Grecs indépendants. Son partenaire est solide, et les dissidents de Syriza sont partis déjà depuis l’automne 2015.

JP : Quelles sont les perspectives économiques actuelles de la Grèce ?

D’après l’autorité des statistiques (Elstat), la croissance a progressé de 0,4 % au premier trimestre de 2017. Mais les perspectives ne restent pas très bonnes : le gouvernement a ainsi révisé à la baisse sa projection de croissance pour cette année à 1,8 % contre 2,7 % auparavant. La Commission européenne a également réduit la sienne à 2,1 % contre 2,7 % précédemment.

Le fléau du chômage n’a toujours pas été résolu même si on observe une légère baisse de son taux – il est passé de 27,8 % au premier trimestre de 2014 à 23,3 % au premier trimestre de 2017 – il reste à un niveau très élevé notamment en ce qui concerne les jeunes.

Par ailleurs, les conditions de travail sont très difficiles, les emplois précaires se multiplient. Ainsi d’après le ministère du travail, plus de 22 % des salariés sont employés à mi-temps ou à temps partiel et touchent moins de 400 euros net par mois.

Katell : J’entends dire que les Grecs ne se soignent plus ?

Les Grecs se soignent de moins en moins, la médecine préventive a notamment été mise à mal par les plans d’austérité. En quelque sorte, les Grecs ne vont chez le médecin ou à l’hôpital que quand ils en ont vraiment besoin, à des stades avancés de maladie ! Les hôpitaux publics sont surchargés, ils manquent de personnel, de matériel voir de médicament… Les centres de santé qui auraient permis de désengorger les hôpitaux ont eux aussi été touchés par les mesures d’austérité.

Jean-Luc : Est-il vrai que l’Eglise ne soit toujours pas assujettie à l’impôt ? Idem pour les grands armateurs ?

L’Eglise est exemptée de l’impôt foncier de toutes les propriétés consacrées au culte, à l’éducation ou à la philanthropie et des biens qui ne sont pas loués, elle ne paie pas non plus la taxe spéciale créée en 2011 pour les bâtiments reliés à l’électricité, ni les taxes municipales. Mais elle paie tout de même des impôts sur certains biens et sur les dons. En 2014, l’Eglise a versé 2,5 millions d’euros pour l’impôt sur la propriété.

Les armateurs aussi ont un statut plutôt privilégié. Ceci dit, ils ont accepté un impôt volontaire de trois années en 2013, étant donné la crise grecque. Cet impôt, en théorie, devait rapporter 75 millions d’euros par an à l’Etat. Par ailleurs, ils se défendent de ne pas payer beaucoup d’impôts car ils ont une action philanthropique importante par le biais de leurs fondations, et ils disent fournir du travail en Grèce. Si l’Etat augmentait leur impôt ils menaceraient de partir du pays et de prendre un pavillon étranger.

Isa : Pourquoi la réduction de la dette grecque pose-t-elle autant de problème aux Européens et particulièrement aux Allemands ?

La solidarité européenne est mise à mal car chaque pays veut défendre ses intérêts ! Les Allemands par exemple sont opposés à tout allégement de la dette car ils estiment que les Grecs méritent en quelque sorte ce qui leur arrivent, et qu’ils doivent « payer »… Ainsi, la chancelière allemande Angela Merkel et son ministre des finances Wolfgang Schäuble ont toujours eu des positions assez dures avec Athènes pour des raisons de politique intérieure.

Luc : Les Grecs n’ont-ils pas l’impression d’avoir déjà beaucoup accepté. Croient-ils encore en l’Europe…

Les Grecs sont bien sûr déçus par l’Europe, ou plutôt de la direction que prend l’Europe. Car en fait, ils aiment profondément l’idée de l’Europe.

D’après un sondage réalisé par l’Institut Kapa Research, en avril, 41,5 % des personnes interrogées estiment que les Européens ont voulu punir la Grèce. En revanche, à la question, est-ce que la Grèce doit sortir de l’Union européenne, 69 % sont contre cette idée !

Yougaï : Pensez-vous que le nouveau président français pourrait convaincre l’Union européenne d’alléger la dette grecque ?`

Le nouveau président français s’est engagé à défendre un allégement de la dette grecque. Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, qui était à Athènes, lundi, a redit son engagement. Il a même affirmé que ce n’était pas qu’un problème grec mais européen. Résoudre le problème grec permettra d’aller de l’avant vers plus d’intégration européenne.

Maintenant, l’équilibre des pouvoirs en Europe est un jeu difficile. Berlin tente également d’imposer sa vision des choses, le FMI aussi… Le président français n’arrivera pas à changer les choses seul, il faut arriver à un accord avec tous ces acteurs…

Mais avec un peu de chance, après les élections allemandes de septembre une solution sera trouvée car au fond tout le monde sait que cette question de la dette grecque est une bombe et qu’il faut la désamorcer…

Thierry46 : Est-ce que l’effacement d’une partie de la dette, pourrait redonner à la Grèce un peu d’oxygène et la capacité de revenir au-devant de la scène Européenne ?

L’effacement d’une partie de la dette est très important pour la Grèce car tant que cette question n’est pas résolue les investisseurs étrangers sont réticents à venir en Grèce. Qui voudrait investir dans un pays qui peut à nouveau faire faillite ? Qui ne peut pas survivre sans prêts internationaux ? Résoudre la question de la dette permettra à la Grèce de se projeter à plus long terme. Pour le moment, l’économie grecque vit ou plutôt survit au jour le jour et c’est bien là le problème…